Les 10 meilleurs films de 2025 : le top de la rédaction de “Philosophie magazine”
Les 10 meilleurs films de 2025 : le top de la rédaction de “Philosophie magazine”
hschlegel
mar 16/12/2025 - 17:01
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Quels films de l’année 2025 fallait-il voir ? Cédric Enjalbert et Ariane Nicolas, qui co-animent la newsletter de Philosophie magazine « Par ici la sortie », ont fait leur best-of. Un classement sans hiérarchie, ordonné par date de sortie, parce que bon. Venez le commenter sur les réseaux sociaux !
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Les textes qui accompagnent ce top 10 sont repris de nos critiques, dans un format plus court.
“Tardes de Soledad”, d’Albert Serra
En suivant le matador péruvien Andrés Roca Rey, le cinéaste espagnol poursuit deux obsessions métaphysiques. D’une part, il nous met dans la posture du voyeur et fait du regard le motif de cette incursion dans l’arène. L’homme dévisage l’animal devant une assemblée qui les scrute : nous les voyons voyant et vus. Albert Serra ne prend parti ni pour ni contre une pratique décriée ; il s’interroge plutôt sur cette fascination qui, comme le note Jean-Toussaint Desanti à propos de « l’obscène », nous repousse en même temps qu’elle nous appelle. D’autre part, le réalisateur livre une formidable vanité, médusé par la décomposition et la mort. Desanti à nouveau : « Dès lors, mon œil était capturé, comme si quelque chose d’épouvantable et de sacré, invisible dans le visible, s’était inscrit sur ce mur. » Ou sur l’écran. La fiche du film.
“Materialists”, de Celine Song
Peut-on encore croire à l’amour, dans une société « matérialiste » où, sur les applications de rencontre, les êtres humains sont notés comme des courses en taxi ? Pour affronter cette question, Celine Song rentre dans le dur. Elle imagine une jeune femme, sorte d’algorithme Tinder en talons aiguille, dont le métier est de former des couples dans l’élite new-yorkaise. Une “matcheuse” sans pitié, qui évalue froidement chaque qualité et compatibilité possible. Courtisée à son tour par un client, époux parfait sur le papier, elle hésite malgré tout à renouer avec un amour de jeunesse… Le film, qui gagne progressivement en douceur, pointe la souffrance psychologique des femmes, partagées entre désir d’émancipation, rêve du prince charmant et cruauté du marché marital. Une rom-com brillante, tendre et lucide. La fiche du film.
Ces films ont été chroniqués dans le mensuel ou sur notre newsletter culturelle “Par ici la sortie”, qui sort chaque vendredi. Abonnez-vous : elle est gratuite !
“Rêves”, premier volet de la “Trilogie d’Oslo”, de Dag Johan Haugerud
« Tout le monde rêve d’être désiré », croit l’héroïne de ce récit d’apprentissage. Premier volet d’une trilogie romantique, comptant deux autres films – Amour et Désir –, Rêves suit l’éveil érotique d’une lycéenne norvégienne, éprise de sa professeure. Le réalisateur Dag Johan Haugerud brosse le portrait de trois générations de féministes – grand-mère, mère, fille. Il se demande aussi à quoi tient ce désir irrésistible de se raconter, de mettre nos existences en récit ? C’est que chacun cherche à se rendre « irremplaçable » en s’inventant une histoire, comme l’affirme Johanne elle-même. « Devenir irremplaçable, écrit Cynthia Fleury dans Les Irremplaçables (Gallimard, 2015), c’est d’abord entrelacer les différentes séquences du processus d’individuation jusqu’à former une singularité qui n’est plus sous tutelle. » La fiche du film.
“Jeunesse (Retour au pays)”, de Wang Bing
Pour clore sa trilogie sur les travailleurs du textile, le documentariste chinois Wang Bing suit des ouvriers qui retournent fêter le Nouvel An chez eux. Ces nóngmíngōng (« ouvriers-paysans ») n’ont statutairement pas le droit de s’installer en ville, ce qui les condamne à la précarité. Malgré un quotidien harassant, cette Jeunesse qui a déjà tant vécu garde une vitalité propre à son âge : elle rit, rêvasse… Wang Bing filme la face cachée du made in China, avec ces portraits insensés d’authentiques prolétaires au sens de Marx : des exclus ne possédant que leur force de travail. D’une grande délicatesse, comme en témoigne cette séquence où une vieille dame prépare un repas dans un bidonville gelé, le film n’en constitue pas moins un document féroce contre le pouvoir communiste, son archaïsme et son hypocrisie. La fiche du film.
“Sirāt”, d’Oliver Laxe
Luis, un père de famille taciturne, cherche désespérément sa fille au milieu d’une rave party dans le désert marocain. Accompagné de son fils Esteban, et après une évacuation forcée de l’armée, il s’engage dans un road trip dantesque pour retrouver la fugitive. Âpre, aventureux, sans pitié, Sirāt est autant la quête risquée d’un être cher qu’une métaphore sous acide de la vacuité de l’existence. Que faire, au fond, sinon danser ? Le film parvient à rendre palpable le phénomène magique par lequel des ondes traversent le corps humain et l’activent, au cours de la danse. Il déploie aussi un motif aristotélicien, celui de l’effritement du monde. Les personnages ne sont pas les seuls à être altérés par cette épreuve. La montagne ressort métamorphosée. On comprend alors qu’un corps inerte peut aussi être, à sa manière, bien vivant. La fiche du film.
“Une bataille après l’autre”, de Paul Thomas Anderson
Dans une Amérique fasciste gouvernée par des suprémacistes blancs – tiens, tiens – un groupe de rebelles pro-migrants est démantelé. Seize ans plus tard, on retrouve l’un d’entre eux, Bob, affalé sur son canapé, un joint à la main. La rébellion semble loin de lui, jusqu’au jour où sa fille Willa est enlevée sur ordre d’un colonel diabolique... Au combat politique de Bob contre un pouvoir raciste se mêle une bataille intime, celle d’un père qui tente de sauver sa fille. Mais la satire vire vite à la farce. Ce père ringard et surexcité évoque un grotesque Superman en robe de chambre. La guerre civile qui mine le pays est du même tonneau : sorte de méchant bordel généralisé, psychédélique, où tout le monde a l’air fou. Mais n’est-ce pas le propre de toute guerre civile que de voir la société déraisonner ? La fiche du film.
“Un simple accident”, de Jafar Panahi
Lauréat de la Palme d’or à Cannes, ce film a été tourné clandestinement par Jafar Panahi, avec des acteurs engagés. Vahid Mobasseri est l’un d’eux. Il incarne Vahid, qui a tout perdu en prison et pense reconnaître l’un de ses bourreaux. Comment s’assurer qu’il s’agit bien de son tortionnaire ? Quel sort lui réserver ? Habité par le doute, il cherche des réponses et emmène dans sa quête, sur les routes à bord d’un minivan, une équipée d’hommes et de femmes qui se connaissent à peine, mais unis par la brutalité du régime et d’un homme, qu’aucun n’a vu mais que certains ont senti, entendu ou touché. Ils manifestent ce que le philosophe Jan Patočka appelle « la solidarité des ébranlés ». La tension, la beauté et l’humour de ce film tiennent à ce chemin incertain tracé vers une insatiable volonté de justice… guettée par la tentation de la vengeance. La fiche du film.
“La Petite Dernière”, de Hafsia Herzi
À un âge où les possibles s’ouvrent, Fatima, étudiante en philosophie, se découvre une attirance pour les femmes. Musulmane pratiquante, elle sait pourtant que sa religion l’interdit et qu’elle s’expose au rejet de son entourage. Devant la caméra de Hafsia Herzi toutefois, point de contradiction entre les deux. La question n’est pas de savoir si ces pratiques sont conciliables (Fatima montrera que oui) mais plutôt de comprendre comment naviguer entre ces différentes identités. La jeune femme se reconnaît-elle dans la notion de « servitude volontaire » de La Boétie, développée par l’un de ses professeurs ? N’est-elle pas aliénée par la religion, forcée de choisir entre les différentes expressions de son Moi ? Loin de la juger, le film s’avère empli de compassion – ou ce qui, en religion, se nomme miséricorde. La fiche du film.
“Deux Procureurs”, de Sergueï Loznitsa
Sergueï Loznitsa adapte une nouvelle du prisonnier politique Gueorgui Demidov, envoyé au goulag. Elle relate le parcours d’un procureur bolchevique zélé, Alexander Kornev, révolté par le sort injuste réservé aux élites du Parti durant les grandes purges. Croyant à un dysfonctionnement du régime soviétique, il entend rétablir la justice et le droit en faisant appel aux plus hautes autorités. Mais voici Kornev entré dans la logique totalitaire. Dans cette « société atomisée et individualisée », la confiance n’existe pas, remarque Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. Elle est « un lieu où se fabrique quotidiennement de l’absurde ». La dramaturgie implacable de cette fable politique tient en haleine durant près de deux heures, portée par une distribution solide d’acteurs ukrainiens, lituaniens, lettons et russes dissidents. La fiche du film.
“Bugonia”, de Yórgos Lánthimos
Deux frères fomentent l’enlèvement de la directrice d’un important groupe agrochimique (remarquablement interprétée par Emma Stone), convaincus qu’elle est, sous l’identité de Michelle, l’émissaire d’une nation extraterrestre prête à envahir la Terre. Thriller, comédie noire, science-fiction, gore... Tous les registres sont convoqués, et Yórgos Lánthimos échappe aux attentes. Car dans leur fureur conspirationniste, les deux criminels amateurs touchent aussi une vérité du doigt. Et même deux ! La première est que nous sommes mus par un insatiable désir de raconter, et de croire à, des histoires. La seconde est qu’il n’est pas nécessaire d’inventer des complots impossibles car il existe des scandales bien réels, occulté par des « marchands de doute » selon l’expression de l’historienne des sciences Naomi Oreskes. La fiche du film.
+ En bonus, le film qui a divisé la rédaction :
“The Brutalist”, de Brady Corbet
Rien n’y a fait ! Michel Eltchaninoff et Ariane Nicolas n’ont pas réussi à trouver un point d’accord sur The Brutalist, de Brady Corbet, sorti en tout début d’année. Le premier l’a trouvé émouvant et plein d’idées ; la seconde, ronflant et trompeur. Lisez leur querelle (garantie sans brutalité) par ici !
décembre 2025