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Toutes les manières d'éclairer le monde grâce à la philosophie.

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Et si, au lieu de rendre narcissique, les réseaux sociaux avaient accouché d’un nouveau régime attentionnel et d’un nouveau moi, branché sur la vie des autres plus que sur la sienne ?

À lire dans “Philosophie magazine” n°195 !
Ou sur notre site: www.philomag.com/articles/et-...

🗞 EN KIOSQUE
December 25, 2025 at 5:00 PM
🎅🏻 La croyance au père Noël est-elle périmée ? N’est-ce pas un problème de mentir aux enfants ? Clara Degiovanni vous présente malicieusement un panorama des mauvaises et des bonnes raisons de maintenir (ou pas) cette tradition. Joyeux Noël !

À lire ici ➤ www.philomag.com/articles/fau...
December 23, 2025 at 8:39 AM
L’orgueil, vice du diable pour les chrétiens, est presque devenu une qualité – c’est davantage le manque d’estime de soi qui pose problème désormais. Mais Laurence Devillairs montre, avec Blaise Pascal, qu’il est toujours présent. Sommes-nous tous ego ?
Au commencement était l'orgueil (et à la fin aussi !)
L’orgueil, vice du diable pour les chrétiens, est presque devenu une qualité – c’est davantage le manque d’estime de soi qui pose problème désormais. Mais…
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December 21, 2025 at 6:00 AM
La figure de l’androïde puise dans la pensée, et même dans l’imaginaire de Descartes. Le philosophe, qui compare les corps vivants à des machines, peut-il nous aider à décrypter ce qui se joue avec l’IA ?

➤ L'analyse d'Ariane Nicolas est à lire dans le n°195, en kiosque !
December 20, 2025 at 7:45 AM
Il existe, près de Lisbonne, une plage où le désir au grand air, entre hommes, se donne libre cours. À l’heure des applications de rencontre et de la dépression sexuelle, des parades amoureuses sans lendemain, solaires et dionysiaques existent donc encore… Le reportage de Victorine de Oliveira.
Les désirs muets de la plage 19
Il existe, près de Lisbonne, une plage où le désir au grand air, entre hommes, se donne libre cours. À l’heure des applications de rencontre et de la…
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December 19, 2025 at 6:00 AM
Numéro spécial en kiosque : “Les Idées de demain” 2026 ! www.philomag.com/articles/num...
Numéro spécial en kiosque : “Les Idées de demain” 2026 !
Numéro spécial en kiosque : “Les Idées de demain” 2026 ! hschlegel jeu 18/12/2025 - 06:00 En savoir plus sur Numéro spécial en kiosque : “Les Idées de demain” 2026 ! Le monde est-il de plus en plus violent ? Pourquoi les fascistes rêvent-ils d’apocalypse ? Pourrons-nous un jour construire des IA conscientes ? Faut-il réhabiliter la croissance ? Les questions abondent, dans notre présent troublé par de grandes mutations de fond, et les réponses manquent. Comment penser ce qui nous arrive ? Avec le numéro spécial de Philosophie magazine « Les Idées de demain » 2026, qui est dès aujourd’hui disponible en kiosque ! Réunissant une vingtaine d’essais et d’entretiens marquants parus dans la presse internationale et repérés par notre rédaction, ce volume propose des idées originales pour comprendre le monde actuel. [CTA1]   Quand les vieilles idées ne suffisent plus pour saisir l’inédit, il faut en créer de nouvelles, affirmait Gilles Deleuze. C’est cette approche que nous avons adoptée pour cette édition 2026 des « Idées de demain », qui se veut une véritable boussole intellectuelle pour notre époque chamboulée.   Avec, entre autres, au programme : Quinn Slobodian : le nouveau fusionnisme Acquis à l’idée d’inégalité naturelle de QI, les libertariens technophiles font alliance avec l’extrême droite. Comment les combattre, et quelle est leur logique profonde ? Rupert Read : le chaoscène Avec le réchauffement climatique, nous devons affronter un futur plus incertain que jamais, et apprendre à nous adapter à l’imprévisible. Au point où nous entrons dans une nouvelle ère humaine… L’analyse de Rupert Read. Peter Turchin : la cliodynamique Le mathématicien diagnostique une surproduction d’élites qui, couplée à l’inégalité croissante, constitue un cocktail explosif, potentiellement révolutionnaire. Une constante dans l’histoire, selon lui. Saurons-nous faire face au Chaos qui vient ? Cory Doctorow : la merdification Pour gagner toujours plus et créer toujours plus de valeur, les géants de la tech ont entrepris à dessein de dégrader la qualité des services numériques qu’ils proposent. Voilà pourquoi les plateformes sur internet deviennent toujours plus… merdiques. Dan Zimmer : la polarité ascendant/descendant L’opposition gauche-droite ne suffit plus pour comprendre la fragmentation politique qui se dessine actuellement au niveau mondial ; pour Dan Zimmer, le clivage contemporain se joue entre ceux qui entendent ramener la vie dans les limites terrestres et ceux qui appellent au contraire à affranchir la vie de ses limitations.  Et aussi :  Le technoféodalisme, la repatrimonialisation, le « foreverism », l’anarchisme dignitaire, le cybercommunisme…   En kiosque dès aujourd’hui ! décembre 2025
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December 18, 2025 at 9:15 AM
🟡 EN KIOSQUE: “LES IDÉES DE DEMAIN 2026”

Pour une époque chamboulée, il faut des concepts nouveaux. Réunissant une vingtaine de textes parus dans la presse internationale, c’est ce qu’apporte ce volume, qui propose des idées inédites pour comprendre le monde actuel. Une boussole intellectuelle !
December 18, 2025 at 7:00 AM
Vaut-il mieux donner à un mendiant dans la rue ou à une ONG qui soigne la misère à l’autre bout du monde ? Tel est le genre de questions concrètes qui agitent le livre “Faire le bien, en mieux !”, du spécialiste d’éthique William MacAskill. Un essai qui ébranlera sans doute vos convictions morales…
“Faire le bien, en mieux !”, de William MacAskill : l’altruisme peut-il être efficace ? | Philosophie magazine
Est-il préférable de donner son argent à un mendiant dans la rue ou à une ONG qui soigne la misère à l’autre bout du monde ? Tel est le genre de questions…
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December 18, 2025 at 6:00 AM
Dans vos petits souliers : notre sélection culturelle pour Noël www.philomag.com/articles/dan...
Dans vos petits souliers : notre sélection culturelle pour Noël
Dans vos petits souliers : notre sélection culturelle pour Noël hschlegel mer 17/12/2025 - 20:59 En savoir plus sur Dans vos petits souliers : notre sélection culturelle pour Noël « “Pitié, pas un pull, j’en ai des kilos dans mes tiroirs. Maman aussi est prévenue.” J’ai saisi au vol, ce matin, un bref échange angoissé dans la rue, en arrivant à la rédaction. Un père s’adressait à sa quadragénaire de fille. Il parlait de Noël et s’attendait déjà au pire. Alors quoi, sinon un gilet pour descendre les poubelles ? [CTA1] J-7. À une semaine de Noël, peut-être ressentez-vous déjà une certaine appréhension à l’idée de passer le réveillon en famille, redoublée par l’épreuve des cadeaux plus ou moins obligés. Les plus prévoyants auront sans doute déjà ficelé leurs gros paquets ; les autres, dans mon genre, commencent à y penser, préférant la précipitation à l’anticipation. Voici quelques idées de sorties, de spectacles et de lectures qui pourraient vous retirer une épine (de sapin) du pied ! ➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite. En danse Israel et Mohamed, de Mohamed El Khatib et Israel Galván (à Rennes). Un spectacle joué et dansé par le comédien Mohamed El Khatib et le danseur de flamenco Israel Galván autour de ce que Lacan appellerait le “Nom-du-père”, soit une figure de l’interdit.   Ultimo Helecho, de François Chaignaud et Nadia Larcher (également à Rennes). Où le danseur offre une merveilleuse interprétation – queer, ou qui joue du “trouble dans le genre” pour le dire comme Judith Butler – des danses et des chants baroques sud-américains, dans un décor spectaculaire.   Chicago. Le musical (à Paris).  Mettant sous les feux de la rampe des femmes fortes (mais criminelles), la fameuse comédie musicale s’exporte de Broadway à Paris. Où “le tout est plus que la somme des parties”, selon une idée aristotélicienne.   Brel, d’Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte (à Paris). La chorégraphe et le danseur de breakdance s’allient pour interpréter l’intégralité de la discographie de Jacques Brel, convaincus que danser permet “d’articuler un trajet intellectuel”. Au théâtre La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib (à Grasse, Épinal, Blois, Vannes, Corbeil-Essonnes, Sartrouville, Lyon, Saint-Médard-en-Jalles, Paris, Sénart). Un spectacle infiniment touchant sur la persévérance du désir chez nos aïeux – ce que Spinoza désignerait sous le terme de conatus ?   L’Hôtel du libre échange, de Georges Feydeau, dans une mise en scène de Stanislas Nordey (à Brest, Bourges, La Rochelle, Mulhouse). Une adaptation hilarante de ce vaudeville qui parle aussi de désir et d’adultère… mais cite également Descartes, pour qui “l’amour est une émotion de l’âme causée par le mouvement des esprits animaux” !   Hécube pas Hécube, de Tiago Rodrigues (à Paris).  La troupe de la Comédie-Française met en scène une double tragédie sur la vengeance inspirée d’Euripide qui exacerbe les sentiments de colère et d’amour.   Neandertal, de David Geselson (à Lyon).  Une réflexion sur la quête des origines construites comme un thriller, où la quête du passé de l’humanité se confond avec l’exploration des histoires intimes, défaisant toute tentation identitaire.   Que d’espoir ! de Hanokh Levin, dans un mise en scène de Valérie Lesort (à Lyon).  “La joie réelle n’est autre, en effet, qu’une vision lucide, mais assumée, de la condition humaine”… Ce n’est pas du Hanokh Levin mais du Clément Rosset ! Une citation qui sied bien à ces saynètes cyniques (parfois grivoises) reprises dans une forme joyeusement grotesque. En librairie John Singer Sargent. Éblouir Paris, catalogue de l’exposition au musée d’Orsay (qui court encore jusqu’au 11 janvier).  Cette remarquable exposition réunissant des chefs-d’œuvre ferme bientôt. Mais son catalogue vaut d’être parcouru, où l’on découvre notamment l’amitié du peintre pour l’écrivain Henry James (frère du philosophe William James).   Wish This Was Real, catalogue de l’exposition de Tyler Mitchell à la MEP (qui court encore jusqu’au 25 janvier).  La rétrospective retrace le parcours de ce jeune photographe américain pour qui “montrer la beauté noire est un acte de justice”. Le catalogue ravira les amateurs de photo.   L’Art de Claude François. Génie de la chanson populaire, de Philippe Chevallier (PUF, 2025).  Dans cet essai aussi sérieux qu’amusé, qui vient d’être réédité dans une version augmentée, le philosophe (et fan) fait l’analyse de la “forme moyenne” de Claude François, dans les pas d’Aristote.   Et aussi… Mille Vignes, de Pascaline Lepeltier (Hachette, 2022).  Ce n’est pas une “nouveauté” (quoique le livre vienne d’être traduit en anglais !) mais j’ai découvert cet année ce volume illustré de la sommelière Pascaline Lepeltier à l’occasion d’un entretien. Ancienne étudiante en philosophie, elle y transmet sa passion en mobilisant les sciences humaines. Joyeuses fêtes ! » décembre 2025
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December 17, 2025 at 9:15 PM
Rachel Théodore : “Au Chili, la figure de Pinochet demeure un marqueur identitaire et politique fort” www.philomag.com/articles/rac...
Rachel Théodore : “Au Chili, la figure de Pinochet demeure un marqueur identitaire et politique fort”
Rachel Théodore : “Au Chili, la figure de Pinochet demeure un marqueur identitaire et politique fort” hschlegel mer 17/12/2025 - 17:00 En savoir plus sur Rachel Théodore : “Au Chili, la figure de Pinochet demeure un marqueur identitaire et politique fort” Le candidat d’extrême droite José Antonio Kast, admirateur assumé et héritier revendiqué de Pinochet, vient de remporter les élections présidentielles au Chili. Une surprise ? Pas vraiment, selon Rachel Théodore, chercheuse en sciences politiques à l’Universidad Mayor de Santiago. Nous l’avons interviewée pour comprendre l’état de la démocratie chilienne. [CTA2]   Qui est José Antonio Kast ? Rachel Théodore : José Antonio Kast est un avocat, né d’une famille d’immigrants allemands [et d’un père membre du parti nazi qui a fui l’Allemagne après guerre, avec un grand frère ministre pendant la dictature]. Il a d’abord construit sa carrière au sein de l’Unión Demócrata Independiente – la droite conservatrice pro-Pinochet, parti fondé par Jaime Guzmán, le père de la Constitution de 1980. C’est sous cette étiquette qu’il été élu député. Il a ensuite quitté le parti, affirmant qu’il était devenu trop modéré, pour créer le Parti Républicain (Partido Republicano), qui incarne une droite plus identitaire. Candidat à la présidentielle en 2017 et en 2021, où il obtient la première majorité au premier tour, Kast a réussi à canaliser le mécontentement d’une partie de l’électorat. “Au Chili, Pinochet reste apprécié par les conservateurs et l’élite économique, pour qui il a ‘sauvé le pays’ du socialisme” Rachel Théodore   Quels ont été ses arguments de campagne ? Kast a construit sa campagne autour de l’idée que le Chili serait entré dans une phase de déclin depuis la révolte sociale de 2019 et qu’un retour à l’ordre s’imposait face aux politiques de gauche, qu’il accuse d’avoir fragilisé les institutions. Il s’est progressivement imposé comme le chef de file d’une droite dure, en rupture avec la droite traditionnelle incarnée par Sebastián Piñera [ancien président du Chili], en structurant le débat politique autour de thèmes centraux : la sécurité et la lutte contre l’immigration – en particulier vénézuélienne et colombienne –, la relance de la croissance économique ainsi que la défense d’un modèle social ultra-conservateur, notamment opposé à l’avortement, et d’un modèle économique néolibéral, dans la droite ligne de Milton Friedman.   De quelle extrême-droite s’agit-il ? S’inspire-t-il d’autres figures à l’étranger ? Sur le plan idéologique, Kast revendique une proximité avec des figures comme Donald Trump – qu’il a déclaré vouloir inviter lors de sa prise de fonction –, Jair Bolsonaro au Brésil et Javier Milei en Argentine. Il défend une ligne néolibérale radicale fondée sur la réduction drastique des dépenses publiques, à travers d’importantes coupes budgétaires, et sur une critique virulente de l’« assistanat social ». Dans cette perspective, la protection sociale ne doit pas relever prioritairement de l’État mais être largement régulée par les mécanismes du marché. “Depuis la révolte sociale de 2019, le Chili évolue dans une dynamique politique presque bipolaire, oscillant entre des positions extrêmes” Rachel Théodore   Quel était le bilan de la gauche ? Le bilan du gouvernement de Gabriel Boric apparaît comme ambivalent. Mais il faut replacer son mandat dans un contexte politique exceptionnel, marqué par le mouvement contre-révolutionnaire qui est apparu après la révolte sociale d’octobre 2019. Alors qu’une partie importante de la société réclamait des transformations profondes – sociales, économiques et institutionnelles –, la réaction politique et médiatique a été de refermer cette fenêtre de changement, réaffirmant les cadres de l’ordre établi. On voit le résultat aujourd’hui. Dans ce paysage, la gauche gouvernementale s’était présentée comme le vecteur moral d’un renouveau démocratique, en opposition à des élites politiques et économiques perçues comme corrompues, déconnectées et responsables de la crise de légitimité de l’État chilien. Le Frente Amplio (la grande coalition de gauche plus dure qui a porté Boric au pouvoir) et Boric lui-même avaient construit une partie de leur capital symbolique sur cette promesse, qui s’est heurtée rapidement à la réalité. Le mandat de Boric a été parasité par des scandales de corruption, de favoritisme ou d’opacité administrative, minant sa prétention à être en rupture avec les pratiques discréditées de la classe politique traditionnelle. Enfin le mouvement politique qui l’a porté au pouvoir a été accusé de donner la priorité à des agendas identitaires ou minoritaires – qualifiés de wokes – au détriment des préoccupations réelles de la population. Certains lui reprochent de ne pas avoir condamné avec suffisamment de fermeté les épisodes de violence grave survenus en 2019, alimentant l’idée que la gauche aurait contribué à radicaliser le conflit social. Le soutien explicite du gouvernement au projet constitutionnel de 2021, perçu comme un texte trop avant-gardiste [au final, la Constitution datant de Pinochet a été conservée], a aussi approfondi la distance entre l’exécutif et un électorat modéré qui souhaitait certes des changements, mais dans un cadre institutionnel stable. Cependant, à l’examen des résultats économiques et sociaux, le bilan du gouvernement Boric est loin d’être aussi négatif que ne l’a présenté l’opposition. Malgré une campagne publique particulièrement virulente visant à discréditer son action, le Chili a montré des signes de stabilité macroéconomique, de maîtrise de l’inflation, de reprise de l’emploi formel et d’amélioration de certains indicateurs sociaux.   La victoire de Kast est-elle due à une méfiance vis-à-vis de la candidate communiste ou à un véritable enthousiasme pour son programme ? Depuis la révolte sociale, le Chili évolue dans une dynamique politique pendulaire – presque bipolaire – oscillant entre des positions extrêmes. L’un des facteurs qui a joué en faveur de Kast est que la candidate de la coalition de gauche appartenait au Parti communiste, ce qui était probablement le pire choix possible pour représenter la gauche, car l’anticommunisme reste très fort au Chili. La gauche avait organisé des primaires où la candidate de centre-gauche, Carolina Tohá, a été battue, ce qui a eu pour effet de pousser la compétition présidentielle vers les extrêmes. On peut donc considérer que le soutien véritable au projet politique de Kast ne dépasse probablement pas les résultats qu’il a obtenus au premier tour, soit environ 25% des voix. Sa victoire ne doit donc pas être interprétée comme une adhésion massive à son programme. “La candidate en face de Kast était communiste. Probablement le pire choix possible pour représenter la gauche, car l’anticommunisme reste très fort au Chili” Rachel Théodore   Les citoyens qui ont voté pour Kast ont-ils été séduits par son conservatisme (sur l’avortement par exemple) ou par ses promesses de libéralisation économique ? Selon certaines enquêtes, entre 78 et 81% des citoyens soutiennent l’IVG dans les trois situations autorisées par la loi – risque vital pour la mère, inviabilité fœtale et grossesse résultant d’un viol. L’avortement n’est donc pas condamné en soi. Les priorités des citoyens se sont plutôt déplacées vers la sécurité et la situation économique, d’où le succès de Kast. Par ailleurs se développe une méfiance envers le rôle de l’État, qui alimente des discours favorables à la réduction de son intervention ou critiques envers la fonction publique. Nombre de Chiliens souhaitent de meilleurs services sociaux, mais refusent une augmentation des impôts, estimant que l’État gère mal les ressources. Cette contradiction est un élément structurant du débat public au Chili, qui montre une tension permanente entre valeurs sociales progressistes, demandes de stabilité économique et méfiance envers l’État.   Kast dit admirer Pinochet. Comment expliquer que les Chiliens se tournent vers lui malgré le souvenir de la dictature ? Kast est un admirateur déclaré d’Augusto Pinochet. Il appartient à la génération politique qui s’est opposée au « oui » à la transition démocratique lors du plébiscite de 1989. Pour un public français, cette position est difficile à comprendre, car elle implique une défense explicite d’un régime militaire responsable de violations massives des droits de l’homme. Pourtant, au Chili, Pinochet continue d’être une figure appréciée par une part non négligeable de l’opinion publique, particulièrement dans les milieux conservateurs et les élites économiques. Pour ces groupes, la dictature représente avant tout le « sauvetage » du pays face à ce qu’ils percevaient comme un effondrement imminent sous le gouvernement d’Allende : pénuries, files d’attente, polarisation sociale extrême et violences politiques. Cette mémoire, qui est partielle, sélective et ancrée dans l’expérience quotidienne des années 1970, reste structurante pour une frange importante de la droite chilienne, qui voit dans le régime militaire le moment où l’ordre a été rétabli et où a commencé la modernisation économique du pays. “Nombre de citoyens veulent de meilleurs services sociaux mais refusent de payer plus d’impôts car ils se méfient de l’État. Cette contradiction structurelle, entre progressisme et demande de stabilité économique, est propre au Chili” Rachel Théodore   Le travail de mémoire n’a-t-il eu aucun effet ? Le travail de mémoire au Chili a été profond mais incomplet. Certes, les rapports de la Commission Rettig (1991) et de la Commission Valech (2004) ont documenté les crimes de la dictature et permis une reconnaissance institutionnelle des violations des droits humains. Cependant, il y a eu comme un pacte implicite de prudence et de silence partiel : plusieurs partis de droite n’ont pas véritablement fait leur mea culpa et ont préféré taire les exactions, soit pour ne pas froisser leurs électeurs, soit parce qu’ils en minimisaient eux-mêmes la gravité. Nombre d’acteurs politiques et économiques ayant soutenu le régime n’ont jamais renoncé explicitement à cette adhésion, ce qui a empêché l’émergence d’un consensus national clair sur l’interprétation du passé. Cette absence de condamnation univoque a laissé perdurer des récits concurrents : celui de la dictature comme période de terreur et de destruction du tissu social, et celui d’un régime qui aurait « remis le pays sur les rails ». Dans ce contexte, la figure de Pinochet demeure un marqueur identitaire et politique fort, et l’ascension d’un Kast devient compréhensible à la lumière de cette mémoire fragmentée et non résolue. “Les Chiliens n’ont jamais univoquement condamné la dictature : il y a toujours une guerre de narratifs sur Pinochet” Rachel Théodore   À quoi faut-il s’attendre dans les années à venir ? Y a-t-il un risque de durcissement dictatorial du régime ?  La crainte majeure de la gauche chilienne était que l’élection de Kast entraîne un retour à une forme de durcissement autoritaire. Cette peur s’enracinait autant dans ses positions passées que dans ses références idéologiques explicites. Toutefois, ces inquiétudes se sont atténuées dès la soirée du second tour. Dans un discours certes peu épique, mais politiquement très ciblé, Kast a adopté un ton nettement plus institutionnel que celui redouté. Il a appelé à l’unité nationale, a reconnu la légitimité de sa concurrente et insisté sur la nécessité de travailler avec la gauche. Il a également tempéré les attentes autour de ses promesses économiques et sécuritaires, prenant de la distance avec sa rhétorique de rupture radicale. En parallèle, l’attitude du président sortant, Gabriel Boric, a joué un rôle central dans l’apaisement du climat politique. Boric a respecté le protocole républicain : appel téléphonique au vainqueur, invitation officielle au palais de La Moneda et rencontre publique destinée à assurer une transition ordonnée. Cette séquence, hautement symbolique dans un pays marqué par une histoire institutionnelle fragile, a rassuré une partie de l’opinion. Elle a donné le sentiment que les règles démocratiques demeuraient solides et que Kast respecterait les institutions républicaines.   Quelles seront les répercussions sociales et économiques de son action ? Il est encore difficile de le déterminer précisément. Ne disposant pas d’une majorité au Congrès, Kast sera obligé de gouverner dans un cadre démocratique et délibératif plus contraignant, par le biais de coalitions et de négociations. Ce qui limite toute tentation de passage en force. décembre 2025
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December 17, 2025 at 5:15 PM
Un blanc-beige élu “couleur de l’année”. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ? www.philomag.com/articles/un-...
Un blanc-beige élu “couleur de l’année”. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ?
Un blanc-beige élu “couleur de l’année”. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ? hschlegel mar 16/12/2025 - 21:00 En savoir plus sur Un blanc-beige élu “couleur de l’année”. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ? « Cloud Dancer : un bien joli nom pour une polémique. Ce “danseur des nuages” est le ton que l’institut Pantone, célèbre pour son nuancier, a désigné comme couleur de l’année 2026. Il s’agit d’un blanc qui a pu être décrit comme aérien ou vaporeux, mais que je qualifierais plutôt comme terni, sans brillance ni éclat – pas la neige qui scintille sous un soleil matinal ni le nuage moutonneux d’été ; plutôt celui qui s’apprête à vous lâcher son crachin pollué sur la tête. [CTA1] Un blanc bien terne C’est la première fois depuis 1999 que Pantone s’arrête sur une nuance de blanc. Par comparaison, 2018 vibrait en Ultra Violet, 2023 en Viva Magenta et 2024 en Peach Fuzz. Cette dernière nuance glissait déjà lentement mais sûrement vers le Mocha Mousse de 2025, une teinte entre le beige et le marron, littéralement la mousse de votre café. Si vous vous demandiez pourquoi le maronnasse avait envahi les vitrines des magasins, les intérieurs – dans les coffee shops qui se reproduisent à l’infini dans les grandes villes, c’est finalement comme si le café avait aspergé les murs – et jusqu’aux vêtements pour bébé, pourtant derniers remparts à imprimés colorés, vous avez désormais la réponse. Pantone décrète à présent “un besoin collectif de reset, un retour à la clarté, une sorte de page blanche pour sortir du bruit ambiant”. À qui ce “retrait”, cette “respiration”, ne feraient-ils pas envie ? Appuyer sur le bouton “stop” alors que l’actualité a rarement été aussi anxiogène et désespérante, franchement, on vote pour. Mais parer de blanc le bouton en question, on est moins sûr. ➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite. Harmonie ou morosité ? Cela peut paraître anecdotique, mais les chasseurs de tendances qui travaillent pour Pantone ont su saisir un air du temps. Quand les couleurs chaudes invitent à la créativité et à la fête – Viva Magenta était censé célébrer “une époque non conventionnelle” –, les tons plus neutres suggèrent la recherche de consensus et d’harmonie. Personnellement, j’entends plutôt quelque chose comme “merci de ne pas déborder” – et je me sens subitement non seulement passible de fashion faux-pas mais aussi d’inconvenance, avec mon jean rose et mes chemises à imprimés eighties. Après les purges dans les administrations, les algorithmes et même le langage lancées par Trump, se pourrait-il que le ménage se fasse jusque dans nos placards et notre garde-robe ? Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux à avoir dressé le parallèle entre la morosité politique ambiante, l’accroissement des inégalités voire un fascisme rampant, et la neutralisation des couleurs. L’obsession de la pureté Yvane Jacob, journaliste mode autrice du compte Instagram “Sapé comme jadis” le remarque sur France Culture début octobre : le beige est une couleur qui a largement été adoptée par les plus riches, dans une démarche de distinction au sens bourdieusien. De quoi appuyer l’idée du blanc comme “masque”, pour reprendre le titre d’un essai de Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs (1952). Dans ce classique de la littérature décoloniale, l’auteur dénonce la façon dont “le Blanc” assoit sa domination à la fois par stigmatisation et effacement de la couleur noire – ce qui ne peut que provoquer névroses et pathologies chez les personnes ainsi discriminées. Dans le chapitre intitulé “L’homme de couleur et la Blanche”, Fanon décrit comment “de la partie la plus noire de mon âme, à travers la zone hachurée me monte ce désir d’être tout à coup blanc. Je ne veux pas être reconnu comme Noir mais comme Blanc. […] On m’aime comme un Blanc. Je suis un Blanc. […] J’épouse la culture blanche, la beauté blanche, la splendeur blanche.” La couleur blanche est si peu neutre qu’elle est un signe de noblesse, et donc de domination à la fois économique et sociale depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne, comme le remarque l’historien Michel Pastoureau dans Blanc. Histoire d’une couleur (Seuil, 2022). Ce n’est pas pour rien que la fleur de lys est un emblème royal. Plus tard, la chemise blanche que l’on ne cache plus derrière un pourpoint devient un objet de distinction, avec un col désormais amovible afin de limiter les lavages : c’est ainsi que “nos actuels ‘cols blancs’ trouvent leurs racines les plus lointaines”, note Pastoureau. Au XXe siècle, le blanc signale plutôt la propreté, l’hygiène, après avoir été symbole de pureté dans un espace occidental marqué par le christianisme. Une évolution due à la découverte de l’eau de Javel par le savant français Claude-Louis Berthollet dans les années 1775-77. Car la fameuse eau non seulement élimine toute trace de vie microbienne, mais blanchit – elle lave et délave. De quoi inscrire le Cloud Dancer dans une lignée inquiétante : à trop vouloir faire table rase du passé, il se pourrait bien qu’il se contente de délaver nos yeux, voire nos cerveaux. » décembre 2025
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December 16, 2025 at 9:15 PM
Les 10 meilleurs films de 2025 : le top de la rédaction de “Philosophie magazine” www.philomag.com/articles/les...
Les 10 meilleurs films de 2025 : le top de la rédaction de “Philosophie magazine”
Les 10 meilleurs films de 2025 : le top de la rédaction de “Philosophie magazine” hschlegel mar 16/12/2025 - 17:01 En savoir plus sur Les 10 meilleurs films de 2025 : le top de la rédaction de “Philosophie magazine” Quels films de l’année 2025 fallait-il voir ? Cédric Enjalbert et Ariane Nicolas, qui co-animent la newsletter de Philosophie magazine « Par ici la sortie », ont fait leur best-of. Un classement sans hiérarchie, ordonné par date de sortie, parce que bon. Venez le commenter sur les réseaux sociaux ! [CTA2] Les textes qui accompagnent ce top 10 sont repris de nos critiques, dans un format plus court. “Tardes de Soledad”, d’Albert Serra En suivant le matador péruvien Andrés Roca Rey, le cinéaste espagnol poursuit deux obsessions métaphysiques. D’une part, il nous met dans la posture du voyeur et fait du regard le motif de cette incursion dans l’arène. L’homme dévisage l’animal devant une assemblée qui les scrute : nous les voyons voyant et vus. Albert Serra ne prend parti ni pour ni contre une pratique décriée ; il s’interroge plutôt sur cette fascination qui, comme le note Jean-Toussaint Desanti à propos de « l’obscène », nous repousse en même temps qu’elle nous appelle. D’autre part, le réalisateur livre une formidable vanité, médusé par la décomposition et la mort. Desanti à nouveau : « Dès lors, mon œil était capturé, comme si quelque chose d’épouvantable et de sacré, invisible dans le visible, s’était inscrit sur ce mur. » Ou sur l’écran. La fiche du film. “Materialists”, de Celine Song Peut-on encore croire à l’amour, dans une société « matérialiste » où, sur les applications de rencontre, les êtres humains sont notés comme des courses en taxi ? Pour affronter cette question, Celine Song rentre dans le dur. Elle imagine une jeune femme, sorte d’algorithme Tinder en talons aiguille, dont le métier est de former des couples dans l’élite new-yorkaise. Une “matcheuse” sans pitié, qui évalue froidement chaque qualité et compatibilité possible. Courtisée à son tour par un client, époux parfait sur le papier, elle hésite malgré tout à renouer avec un amour de jeunesse… Le film, qui gagne progressivement en douceur, pointe la souffrance psychologique des femmes, partagées entre désir d’émancipation, rêve du prince charmant et cruauté du marché marital. Une rom-com brillante, tendre et lucide. La fiche du film. Ces films ont été chroniqués dans le mensuel ou sur notre newsletter culturelle “Par ici la sortie”, qui sort chaque vendredi. Abonnez-vous : elle est gratuite ! “Rêves”, premier volet de la “Trilogie d’Oslo”, de Dag Johan Haugerud « Tout le monde rêve d’être désiré », croit l’héroïne de ce récit d’apprentissage. Premier volet d’une trilogie romantique, comptant deux autres films – Amour et Désir –, Rêves suit l’éveil érotique d’une lycéenne norvégienne, éprise de sa professeure. Le réalisateur Dag Johan Haugerud brosse le portrait de trois générations de féministes – grand-mère, mère, fille. Il se demande aussi à quoi tient ce désir irrésistible de se raconter, de mettre nos existences en récit ? C’est que chacun cherche à se rendre « irremplaçable » en s’inventant une histoire, comme l’affirme Johanne elle-même. « Devenir irremplaçable, écrit Cynthia Fleury dans Les Irremplaçables (Gallimard, 2015), c’est d’abord entrelacer les différentes séquences du processus d’individuation jusqu’à former une singularité qui n’est plus sous tutelle. » La fiche du film. “Jeunesse (Retour au pays)”, de Wang Bing Pour clore sa trilogie sur les travailleurs du textile, le documentariste chinois Wang Bing suit des ouvriers qui retournent fêter le Nouvel An chez eux. Ces nóngmíngōng (« ouvriers-paysans ») n’ont statutairement pas le droit de s’installer en ville, ce qui les condamne à la précarité. Malgré un quotidien harassant, cette Jeunesse qui a déjà tant vécu garde une vitalité propre à son âge : elle rit, rêvasse… Wang Bing filme la face cachée du made in China, avec ces portraits insensés d’authentiques prolétaires au sens de Marx : des exclus ne possédant que leur force de travail. D’une grande délicatesse, comme en témoigne cette séquence où une vieille dame prépare un repas dans un bidonville gelé, le film n’en constitue pas moins un document féroce contre le pouvoir communiste, son archaïsme et son hypocrisie. La fiche du film. “Sirāt”, d’Oliver Laxe Luis, un père de famille taciturne, cherche désespérément sa fille au milieu d’une rave party dans le désert marocain. Accompagné de son fils Esteban, et après une évacuation forcée de l’armée, il s’engage dans un road trip dantesque pour retrouver la fugitive. Âpre, aventureux, sans pitié, Sirāt est autant la quête risquée d’un être cher qu’une métaphore sous acide de la vacuité de l’existence. Que faire, au fond, sinon danser ? Le film parvient à rendre palpable le phénomène magique par lequel des ondes traversent le corps humain et l’activent, au cours de la danse. Il déploie aussi un motif aristotélicien, celui de l’effritement du monde. Les personnages ne sont pas les seuls à être altérés par cette épreuve. La montagne ressort métamorphosée. On comprend alors qu’un corps inerte peut aussi être, à sa manière, bien vivant. La fiche du film. “Une bataille après l’autre”, de Paul Thomas Anderson Dans une Amérique fasciste gouvernée par des suprémacistes blancs – tiens, tiens – un groupe de rebelles pro-migrants est démantelé. Seize ans plus tard, on retrouve l’un d’entre eux, Bob, affalé sur son canapé, un joint à la main. La rébellion semble loin de lui, jusqu’au jour où sa fille Willa est enlevée sur ordre d’un colonel diabolique... Au combat politique de Bob contre un pouvoir raciste se mêle une bataille intime, celle d’un père qui tente de sauver sa fille. Mais la satire vire vite à la farce. Ce père ringard et surexcité évoque un grotesque Superman en robe de chambre. La guerre civile qui mine le pays est du même tonneau : sorte de méchant bordel généralisé, psychédélique, où tout le monde a l’air fou. Mais n’est-ce pas le propre de toute guerre civile que de voir la société déraisonner ? La fiche du film. “Un simple accident”, de Jafar Panahi Lauréat de la Palme d’or à Cannes, ce film a été tourné clandestinement par Jafar Panahi, avec des acteurs engagés. Vahid Mobasseri est l’un d’eux. Il incarne Vahid, qui a tout perdu en prison et pense reconnaître l’un de ses bourreaux. Comment s’assurer qu’il s’agit bien de son tortionnaire ? Quel sort lui réserver ? Habité par le doute, il cherche des réponses et emmène dans sa quête, sur les routes à bord d’un minivan, une équipée d’hommes et de femmes qui se connaissent à peine, mais unis par la brutalité du régime et d’un homme, qu’aucun n’a vu mais que certains ont senti, entendu ou touché. Ils manifestent ce que le philosophe Jan Patočka appelle « la solidarité des ébranlés ». La tension, la beauté et l’humour de ce film tiennent à ce chemin incertain tracé vers une insatiable volonté de justice… guettée par la tentation de la vengeance. La fiche du film. “La Petite Dernière”, de Hafsia Herzi À un âge où les possibles s’ouvrent, Fatima, étudiante en philosophie, se découvre une attirance pour les femmes. Musulmane pratiquante, elle sait pourtant que sa religion l’interdit et qu’elle s’expose au rejet de son entourage. Devant la caméra de Hafsia Herzi toutefois, point de contradiction entre les deux. La question n’est pas de savoir si ces pratiques sont conciliables (Fatima montrera que oui) mais plutôt de comprendre comment naviguer entre ces différentes identités. La jeune femme se reconnaît-elle dans la notion de « servitude volontaire » de La Boétie, développée par l’un de ses professeurs ? N’est-elle pas aliénée par la religion, forcée de choisir entre les différentes expressions de son Moi ? Loin de la juger, le film s’avère empli de compassion – ou ce qui, en religion, se nomme miséricorde. La fiche du film. “Deux Procureurs”, de Sergueï Loznitsa Sergueï Loznitsa adapte une nouvelle du prisonnier politique Gueorgui Demidov, envoyé au goulag. Elle relate le parcours d’un procureur bolchevique zélé, Alexander Kornev, révolté par le sort injuste réservé aux élites du Parti durant les grandes purges. Croyant à un dysfonctionnement du régime soviétique, il entend rétablir la justice et le droit en faisant appel aux plus hautes autorités. Mais voici Kornev entré dans la logique totalitaire. Dans cette « société atomisée et individualisée », la confiance n’existe pas, remarque Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. Elle est « un lieu où se fabrique quotidiennement de l’absurde ». La dramaturgie implacable de cette fable politique tient en haleine durant près de deux heures, portée par une distribution solide d’acteurs ukrainiens, lituaniens, lettons et russes dissidents. La fiche du film. “Bugonia”, de Yórgos Lánthimos Deux frères fomentent l’enlèvement de la directrice d’un important groupe agrochimique (remarquablement interprétée par Emma Stone), convaincus qu’elle est, sous l’identité de Michelle, l’émissaire d’une nation extraterrestre prête à envahir la Terre. Thriller, comédie noire, science-fiction, gore... Tous les registres sont convoqués, et Yórgos Lánthimos échappe aux attentes. Car dans leur fureur conspirationniste, les deux criminels amateurs touchent aussi une vérité du doigt. Et même deux ! La première est que nous sommes mus par un insatiable désir de raconter, et de croire à, des histoires. La seconde est qu’il n’est pas nécessaire d’inventer des complots impossibles car il existe des scandales bien réels, occulté par des « marchands de doute » selon l’expression de l’historienne des sciences Naomi Oreskes. La fiche du film. + En bonus, le film qui a divisé la rédaction : “The Brutalist”, de Brady Corbet Rien n’y a fait ! Michel Eltchaninoff et Ariane Nicolas n’ont pas réussi à trouver un point d’accord sur The Brutalist, de Brady Corbet, sorti en tout début d’année. Le premier l’a trouvé émouvant et plein d’idées ; la seconde, ronflant et trompeur. Lisez leur querelle (garantie sans brutalité) par ici ! décembre 2025
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December 16, 2025 at 5:15 PM
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L’étonnante histoire du gaz hilarant
L’étonnante histoire du gaz hilarant hschlegel mar 16/12/2025 - 12:00 En savoir plus sur L’étonnante histoire du gaz hilarant Trois jeunes ont été retrouvés morts dans leur voiture tombée dans une piscine à Alès (30) début décembre. La consommation de protoxyde d’azote, dont plusieurs bouteilles ont été découvertes à proximité, serait à la source de l’accident. Si la prise de conscience des dangers de ce gaz hilarant est récente, son histoire est ancienne. [CTA2] Un gaz aux effets inattendus… Si le protoxyde d’azote est découvert en 1772 par Joseph Priestley, qui le décrit dans ses Experiments and Observations on Different Kinds of Air, il faut attendre une vingtaine d’années pour qu’on en découvre les propriétés euphorisantes. C’est au physicien et chimiste britannique Humphry Davy qu’on doit cette découverte. Fasciné par les effets de ce « gaz hilarant », le scientifique lui consacre un long ouvrage, Researches, Chemical and Philosophical Chiefly Concerning Nitrous Oxide, or Diphlogisticated Nitrous Air, And Its Respiration (« Recherches principalement chimique et philosophique concernant le protoxyde d’azote… »). Il y décrit ses expériences de prises de gaz, en doses variables. Davy évoque d’abord « une pesanteur de tête avec perte du mouvement volontaire » et « dans tout le corps une sorte de chatouillement agréable, qui se faisait particulièrement sentir à la poitrine et aux extrémités ». Il ajoute : “Les objets situés autour de moi me paraissaient éblouissants de lumière et le sens de l’ouïe avait acquis un surcroît de finesse. Dans les dernières inspirations, ce chatouillement augmenta, je ressentis une exaltation toute particulière dans le pouvoir musculaire, et j’éprouvai un besoin irrésistible d’agir” Humphry Davy, Researches, Chemical and Philosophical Chiefly Concerning Nitrous Oxide, or Diphlogisticated Nitrous Air, And Its Respiration (1800) Lors de cette première expérience, le protoxyde était mêlé à de l’air. Mais Davy entend bien essayer de respirer un gaz plus concentré. Il finit par construire une « boîte respiratoire hermétique » où il s’enferme. Du gaz est injecté toutes les cinq minutes, jusqu’à ce que le chimiste frôle l’évanouissement. “Je ressentis immédiatement une sensation s’étendant de la poitrine aux extrémités ; j’éprouvais dans tous les membres comme une sorte d’exagération du sens du tact. Les impressions perçues par le sens de la vue étaient plus vives, j’entendais distinctement tous les bruits de la chambre, et j’avais très-bien conscience de tout ce qui m’environnait. Le plaisir augmentant par degrés, je perdis tout rapport avec le monde extérieur. Une suite de fraîches et rapides images passaient devant mes yeux ; elles se liaient à des mots inconnus et formaient des perceptions toutes nouvelles pour moi. J’existais dans un monde d’idées nouvellement connectées et modifiées” Ibid. ainsi que les citations suivantes Davy raconte que, dans cet étrange état, il était « en train de faire des théories et des découvertes ». Lorsqu’il sort de la boîte, il ressent un « sentiment d’orgueil » : “Mes impressions étaient sublimes, et pendant quelques minutes, je me promenai dans l’appartement, indifférent à ce qui se disait autour de moi. Enfin, je m’écriai avec la foi la plus vive et de l’accent le plus pénétré : Rien n’existe que la pensée ; l’Univers n’est composé que d’idées, d’impressions de plaisir et de souffrance” …immédiatement consommé sans modération Davy présente le gaz hilarant comme une expérience à la fois hédoniste (il évoque « l’extase du plaisir », « l’euphorie ») et révélatrice, quasi-mystique, semblable à une « transe semi-délirante ». Peu à peu, Davy commence à consommer de grandes quantités de protoxyde d’azote en dehors du cadre du laboratoire où il en expérimentait les effets, et parfois en solitaire. D’une fois à l’autre, les effets sont variables. Il note par exemple que la lumière vive est vécue comme un « éclat fatigant et difficile à supporter ». “Parfois, j’éprouvais des sensations d’ivresse intense, accompagnées d’un plaisir modéré ; à d’autres moments, des émotions sublimes liées à des idées très vives […] J’ai souvent eu beaucoup de plaisir à respirer le gaz dans le silence et l’obscurité, absorbé par une existence idéale” L’obscurité permet au contraire à l’esprit de se laisser pleinement aller à l’action du gaz. Une nuit, le chimiste (accompagné d’un assistant) en respire dans une prairie sous la lune : “Autour de moi les objets étaient parfaitement distincts, seulement la lumière de la lampe n’avait pas sa vivacité ordinaire. La sensation de plaisir fut d’abord locale ; je la perçus sur les lèvres et autour de la bouche. Peu à peu, elle se répandit dans tout le corps, et au milieu de l’expérience, elle atteignit à un moment un tel degré d’exaltation qu’elle absorba mon existence” Évoquant un intense « bonheur », il ajoute : “Deux heures après, au moment de m’endormir et placé dans cet état intermédiaire entre le sommeil et la veille, j’éprouvais encore comme un souvenir confus de ces impressions délicieuses. Toute la nuit, j’eus des rêves pleins de vivacité et de charme, et je m’éveillai le matin en proie à une énergie inquiète que j’avais déjà éprouvée quelquefois dans le cours de semblables expériences” Un engouement collectif C’est un véritable « programme libre d’expansion de la conscience » que met en place le chimiste, comme le note l’auteur spécialisé dans l’histoire des substances psychoactives Mike Jay. Davy n’expérimente pas seulement sur lui-même : il fait tester la substance à quelques cobayes. Son ami, le poète Robert Southey, lance après avoir essayé : « L’atmosphère du plus haut des cieux possibles doit être composée de ce gaz ». De là sans doute le surnom de « gaz du paradis ». Parmi les autres expérimentateurs, encore un poète, aujourd’hui très célèbre, Samuel Taylor Coleridge, qui décrit ainsi son expérience : “Lorsque j’ai inspiré pour la première fois l’oxyde nitreux, j’ai ressenti une sensation de chaleur très agréable dans tout mon corps, semblable à celle dont je me souviens avoir fait l’expérience après être rentré d’une promenade dans la neige dans une pièce chauffée. Le seul mouvement que j’avais envie de faire était de rire de ceux qui me regardaient” Samuel Taylor Coleridge Un intime de Davy, J. W. Tobin, raconte, lui : « Soudainement, bondissant de ma chaise et poussant des cris de plaisir, je me précipitai vers les personnes présentes, souhaitant qu’elles partagent mon sentiment. » Un certain M. Hammick, de son côté, lorsqu’on entreprend de lui retirer le masque respiratoire, s’exclame : « Laissez-moi le respirer à nouveau, c’est extrêmement agréable ! C’est le stimulant le plus puissant que j’ai jamais ressenti ! » Le gaz hilarant, en ce tournant de siècle, connaît un petit engouement dans les salons, comme en témoignent des caricatures de l’époque. Dans les foires, on peut assister à des démonstrations. D’autres usages ne tardent pas à apparaître. Déjà, Davy notait le rôle antalgique du gaz : “Le protoxyde d’azote paraissait jouir, entre autres propriétés, de celle de détruire la douleur ; on pourrait probablement l’employer avec avantage dans les opérations de chirurgie qui ne s’accompagnent pas d’une grande effusion de sang” Humphry Davy, op. cit. En 1844, le dentiste américain Horace Wells découvre la propriété anesthésique du protoxyde d’azote. Trop pressé, cependant, de partager avec le monde sa découverte, il se lance sans préparation approfondie dans des démonstrations publiques qui sont un échec retentissant. L’utilisation anesthésique du gaz hilarant sera par la suite perfectionnée par le dentiste J. H. Smith et par Gardner Quincy Colton, créateur de spectacles au gaz hilarant. On commence quelques décennies plus tard à tester le gaz en obstétrique.  Un “jeu” qui reste dangereux En France, le gaz hilarant n’obtient son autorisation de mise sur le marché qu’en 2001. Médicament nécessitant une prescription médicale, le « proto » est cependant détourné comme drogue récréative bon marché aux propriétés psychodysleptiques. La consommation varie d’une année sur l’autre ; elle connaît des pics en 2000 et en 2017-2018. L’usage récréatif du « proto » s’observe principalement dans les milieux étudiants (notamment en médecine, en raison de l’accès facile) et dans les soirées techno et autres free parties. Les autorités sanitaires alertent de plus en plus des dangers d’une substance dont les effets néfastes ont souvent été négligés. Longtemps considéré comme peu ou pas addictif, le protoxyde d’azote peut créer des formes de dépendance selon plusieurs études et témoignages : “Son potentiel addictogène s’est révélé au fil de ses usages et des découvertes de ses mécanismes d’action. Il agit très vite, provoque une tolérance [donc conduit à la consommation de doses de plus en plus élevées], et des signes de sevrage apparaissent dès l’arrêt de l’inhalation. Certains se remettent à consommer malgré une période d’abstinence et malgré leurs difficultés à marcher ou à faire face à leurs obligations (travail, études)” Estelle Cotte Raffour, Laura Durin, Adrien Monard, Rabiha Giagnorio, « Deux cents ans d’histoire des usages et mésusages du protoxyde d’azote », in : Annales médico-psychologiques (novembre 2024) La consommation de la substance, outre les conduites à risque qu’elle peut occasionner (et donc la mort récente de ces trois jeunes dans le Gard), a aussi des effets délétères sur l’organisme : le protoxyde d’azote est notamment neurotoxique. Bref, le « gaz du paradis » porte bien mal son surnom.  décembre 2025
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December 16, 2025 at 12:15 PM
Dans son nouvel essai “Le Regard perdu” (Actes Sud), le philosophe Baptiste Morizot propose une clé d’interprétation de l’art préhistorique fascinante et originale, qu’il appelle l’“hypothèse jizz”. En s’appuyant sur quelques images, nous l’avons invité à partager ses réflexions.
Grotte Chauvet, Lascaux… L’art préhistorique saisi par Baptiste Morizot et son “hypothèse jizz”
Avec une audace réjouissante, le philosophe Baptiste Morizot propose, dans son nouvel essai Le Regard perdu (Actes Sud), une clé d’interprétation de l’art…
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December 16, 2025 at 6:00 AM
“Le Journal d’un prisonnier” : Sarkozy est-il le nouveau Dostoïevski ? www.philomag.com/articles/le-...
“Le Journal d’un prisonnier” : Sarkozy est-il le nouveau Dostoïevski ?
“Le Journal d’un prisonnier” : Sarkozy est-il le nouveau Dostoïevski ? hschlegel lun 15/12/2025 - 21:00 En savoir plus sur “Le Journal d’un prisonnier” : Sarkozy est-il le nouveau Dostoïevski ? « La parution du Journal d’un prisonnier de Nicolas Sarkozy déchaîne un flot de sarcasmes. On moque sa propension à se prendre pour le capitaine Dreyfus ou ses difficultés à utiliser un téléphone fixe – sans parler des libertés qu’il prend avec la vérité. Pour en avoir le cœur net, je l’ai lu. [CTA1] Surprise : j’y ai trouvé tous les ingrédients de ce genre bien particulier qu’est la littérature carcérale, initiée par Dostoïevski. Mais à la sauce Sarko : vite fait. Quatre ans pour l’un, trois semaines pour l’autre… Le Journal d’un prisonnier (Fayard), clin d’œil au Journal d’un écrivain de Fiodor Dostoïevski, rappelle le récit que le romancier russe a fait de sa déportation au bagne d’Omsk dans les années 1850, pour avoir participé à un cercle révolutionnaire. Ses Carnets de la maison morte (ou Souvenirs de la maison des morts) sont l’un des premiers exemples – et l’un des chefs-d’œuvre – de la littérature carcérale. Certes, Dostoïevski a été emprisonné quatre ans et non trois semaines. Les conditions d’internement en Sibérie sont nettement plus rudes qu’à la Santé. Et là où l’homme politique a souffert de solitude, l’écrivain a compris ce que signifiait l’impossibilité de la trouver : une insupportable “cohabitation forcée” avec les autres forçats. Ces (énormes) différences mises à part, l’impression initiale est la même : “Tout mon nouvel environnement respirait le malheur, la lourdeur, le désastre de vies brisées entassées entre ces murs, loin du monde des vivants” (Sarkozy). On retrouve dans la prose sarkozienne les moments existentiels dépeints par le romancier. Lumière à tous les étages Nicolas Sarkozy se considère, comme l’était Dostoïevski, comme un prisonnier politique (“Mon crime aujourd’hui serait-il de ne pas être de gauche ?”). Mais, comme lui, il transforme son épreuve en possibilité d’une renaissance. La réalité de l’enfermement et du mal contiendrait-elle des étincelles de lumière ? L’aumônier de la Santé, avec qui il dialogue tous les dimanches (donc trois fois) le suggère : “Le mal existe et ici il est très présent, reconnaît l’ecclésiastique. Mais la bonté aussi, elle existe même dans les personnalités les plus noires. Et chaque fois que je rencontre la bonté, je trouve le mystère de Dieu.” L’ancien président trouve cela “intéressant”. Plus loin, il éprouve lui-même ce sentiment : “Dans chaque endroit, fût-il le plus désespéré, il y avait des sources de lumière pour peu que l’on ait la disponibilité de les accueillir.” Que découvre donc Nicolas Sarkozy lors de son séjour en prison ? L’équivalent de ce que Dostoïevski appelle la “vie vivante”, cet amour de la vie dans sa quotidienneté qu’il décrit dans L’Adolescent (1875). En voici la version sarkozienne : “Dans le passé et surtout plus jeune, j’avais brûlé ma vie à toujours chercher l’exceptionnel.” Mais ici, au parloir de la prison, il apprend “à profiter de chaque instant”. ➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite. Sarkozy aurait-il vu la Vierge ? De cette expérience pénible, le détenu fait la matière d’une spectaculaire conversion spirituelle et religieuse. Réfléchissant, comme Dostoïevski, au “mystère du mal”, Nicolas Sarkozy en fait beaucoup – beaucoup plus que le romancier en tout cas. Avant même le récit de son arrivée à la prison, il sature ses pages de vocabulaire évangélique : “Il [lui] fallait porter une croix”, ce qui lui “offrait la chance de percevoir la ‘Lumière’”, de se laisser toucher par la “grâce”. Bref, en prenant avec lui “une biographie de Jésus-Christ”, l’ancien président était déjà tout prêt à investir la “partie lumineuse” de son épreuve. On n’est donc pas étonné des confessions qui suivent : il apprend à prier, l’oraison devenant “le chemin pour résister”. Dans le match de la Ligue des champions diffusé à la télévision le premier soir de son incarcération, il entrevoit “un autre signe de la Providence”. Tout ce qui lui arrive devient “une nouvelle grâce”, une occasion “de devenir meilleur, plus profond, plus fort”. Essayant “à tout prix d’être gouverné par l’Esprit”, il remporte triomphalement son combat contre la dépression. Un prisonnier qui n’a pas vraiment fait pénitence Pour Dostoïevski, le bagne a été l’occasion d’observer les abîmes et les éclats de lumière du peuple russe et de se rapprocher de la religiosité populaire. La comparaison s’arrête là. Pour deux raisons. La première est que l’écrivain russe a profité de son séjour pour interroger le thème de la culpabilité, y compris la sienne. Au contraire, Nicolas Sarkozy, qui noircit de longues pages pour contester la décision de justice dont il fait l’objet, ne rêve que de revanche. La seconde est que là où Dostoïevski a plongé corps et âme dans la réalité qui lui était imposée, l’ancien président a “décidé d’être ailleurs”. Ne croisant jamais aucun détenu, il utilise tout son temps pour se projeter hors des murs de la Santé : dans sa vie d’avant, qu’il n’admet pas avoir abandonnée, et surtout dans l’après, car son livre est aussi un programme politique (d’alliance avec le RN). En reprenant les codes de la littérature carcérale, Nicolas Sarkozy les coche, mais ne les habite pas. Sa conversion spirituelle, sa découverte des conditions de vie d’un détenu, ses réflexions sur le mal et la liberté parsèment son ouvrage mais n’en constituent pas le cœur. Son esprit est tendu vers sa volonté d’être disculpé, de se venger de ses accusateurs, d’orienter la politique française. Sa maison des morts ne l’a pas, je crois, réveillé, car il ne pensait qu’à en sortir. C’est évidemment compréhensible. Mais de Dostoïevski à Sarkozy, finalement, la conséquence n’est pas bonne. » décembre 2025
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December 15, 2025 at 9:15 PM
Moins de code de la route, moins de morts ? www.philomag.com/articles/moi...
Moins de code de la route, moins de morts ?
Moins de code de la route, moins de morts ? hschlegel lun 15/12/2025 - 17:00 En savoir plus sur Moins de code de la route, moins de morts ? Louis Sarkozy veut supprimer le code de la route. Une idée folle… ou innovante ? L’analyse de notre collègue Apolline Guillot, autrice d’une Petite Philosophie des mobilités. La route, école de la patience (Philosophie magazine Éditeur, 2025). [CTA2]   « Ce qui tue les automobilistes, c’est l’assistanat. » Quel soulagement d’apprendre la semaine dernière de la bouche du candidat à la mairie de Menton, Louis Sarkozy, qu’il avait une solution toute trouvée pour endiguer les accidents de la route ! C’est simple, il faut « rendre au citoyen la pleine responsabilité de sa conduite, au lieu qu’il la délègue intégralement au code de la route ». Supprimer le code, donc, ainsi que la plupart des signalisations et panneaux. Sur le coup, la proposition fait sourire : pourquoi, alors que nous déplorons encore près de 3 500 morts d’accidents par an et 26 000 hospitalisations, voudrions-nous nous défaire d’infrastructures pensées justement pour rendre lisible, et donc plus sûre, la circulation ? La préhistoire des bagnoles D’emblée, défaisons un mythe : il n’existe pas d’âge d’or de la liberté des automobilistes, sans entraves aucunes. La première loi sur la circulation des véhicules à moteur est très ancienne. Dès 1893, elle obligeait déjà de prévenir à l’avance son passage et limitait la vitesse en ville et sur route. Au fil des années, de multiples codes locaux et régionaux se créent et essayent d’encadrer l’usage de ces engins qui sont toujours perçus par une partie de la population comme un simple loisir récréatif, sportif – et pas encore un moyen de transport fiable. En 1921, le code de la route voit le jour pour unifier les pratiques et rendre plus aisé le contrôle – matérialisé par la présence de politiciens aux intersections, par exemple.  Ce contrôle policier est rendu nécessaire par deux facteurs : d’une part, les véhicules sont de plus en plus massifs et rapides, donc dangereux. D’autre part, comme l’a montré l’historien Peter Norton, spécialisé dans l’histoire des mobilités urbaines, les rues se transforment sous la pression des lobbies de l’automobiles. Les lignes de tramway électrifiées sont démontées pour faire plus de place aux voitures, on marque les trottoirs et les chaussées pour délimiter visuellement la présence de piétons, on lisse et on aplatit les rues… Bref, on a façonné une ville car-friendly où la technique est plutôt mise au service de la vitesse, ce qui implique plus de contrôle a posteriori. “Nous faisons face à une surenchère de signalisation – en cela, Louis Sarkozy a raison”   De là, naît une surenchère de signalisation – en cela, Louis Sarkozy a raison. L’automobiliste, dans sa voiture de plus en plus rapide et sur ses chaussées de plus en plus faciles à conduire, veut aller vite. Le dispositif de signalisation n’entrave pas, mais sert le conducteur : il lui permet de contracter au maximum la durée requise pour analyser une situation… et donc ralentir au minimum pour arriver plus vite à destination. Le panneau, le feu tricolore, les marquages au sol lèvent également l’ambiguïté inhérente aux interactions humaines. Ils opèrent une sorte de « judiciarisation » implicite de nos relations sur la chaussée – le piéton qui traverse « n’importe comment » est désormais perçu comme un hors-la-loi en puissance. Éloge du nu intégral Cependant, cet empilement de signalisations essaye en vain de régler par de l’information un problème avant tout politique… et ergonomique. C’est ce qu’avait déjà constaté l’ingénieur urbaniste néerlandais Hans Monderman, qui commence dès les années 1970 à vouloir déshabiller les rues de leurs crinolines signalétiques. Un jour, il avait constaté en traversant la charmante ville néerlandaise de Drachten, alors en pleins travaux, que l’absence temporaire de signalisation avait calmé le trafic et fait baisser les accidents. Quand la route n’est plus un espace de signes codifiés, mais un espace d’attention à l’autre, elle redevient un lieu de lien. Il commence alors à théoriser le principe de la « route nue » (naked road) et à l’expérimenter un peu partout dans le pays. Comprendre : réduire la signalisation au minimum, en ne laissant que l’information vitale. Le but assumé est de désorienter les usagers, piétons et automobilistes. En 2006, il s’en expliquait au magazine allemand Deutsche Welle : “Lorsque vous ne savez pas exactement qui a la priorité, vous avez tendance à chercher le contact visuel avec les autres usagers de la route. Vous réduisez automatiquement votre vitesse, vous entrez en contact avec les autres et vous faites plus attention” Hans Monderman Comme le résume le journaliste Tom McNichol en 2004 dans un portrait pour le magazine Wired, « pour Hans Monderman, la [signalisation routière] est un aveu d’échec, elle est le signe – littéralement – qu’un concepteur routier quelque part n’a pas fait son travail. » Le travail de la signalisation minimise le travail d’interprétation des usagers. Or, dans une situation illisible de prime abord, le réflexe est de ralentir l’allure et de regarder autour de soi, pour essayer de déchiffrer ce qui se passe et prendre une décision. On perd donc une certaine qualité de notre attention aux obstacles, aux conditions climatiques, aux bruits de notre voiture, ou bien au regard de l’autre. Car c’est bien là, le nœud du problème : avoir les yeux sur la signalisation nous prive également de chercher les yeux des autres usagers pour construire quelque chose comme une attention conjointe. Se soucier, temporairement, de la même chose : à savoir, rester en sécurité et poursuivre sa route sans accroc. “Avoir les yeux sur la signalisation nous prive de chercher les yeux des autres usagers pour construire quelque chose comme une attention conjointe”   Dans les années 1990, l’idée de Monderman plaît tellement qu’émergent de plus en plus de « zones de rencontre » dans le nord de l’Europe, ces espaces où toutes sortes de flux, de véhicules et de voyageurs se croisent. En 2004 naît même un programme européen pour les espaces partagés (« shared space »), sous la houlette de l’architecte et urbaniste Ben Hamilton-Baillie. Ces zones mixtes ont vocation à faire coexister des voyageurs hétérogènes et faire de la négociation la modalité par défaut de l’interaction. À ce stade, vous l’aurez compris : contrairement à ce qu’on peut penser, la route nue vise un dépouillement signalétique, mais ne revient pas à supprimer le code de la route. C’est précisément dans ce sens que vont les travaux menés dans de nombreuses villes : ralentisseurs, abandon des routes droites, mise en place d’obstacles… Le but est bien de réveiller l’attention en provoquant temporairement de l’inconfort et de la négociation entre les usagers. L’assistanat version Tesla L’utopie des routes nues est cependant née à une époque où les voitures étaient encore des interfaces qui mettaient en lien le conducteur avec la route et, par extension, avec le monde extérieur. En 2025, les choses en vont autrement, pour diverses raisons. Tout porte à croire que cet « assistanat » dont parle Louis Sarkozy est inhérent à l’infrastructure numérique dans laquelle se déploie notre mobilité.  “La ‘route nue’ vise un dépouillement signalétique mais ne revient pas à supprimer le code de la route”   Là où la patience naît de la capacité à endurer le réel, nous sommes de plus en plus aspirés par un monde virtuel saturé de dopamine et d’urgences en cascade, qui s’y superpose. Les usages de la route sont façonnés par des exigences d’optimisation des trajectoires (aidées par des GPS), elles-mêmes accentuées par une disponibilité virtuelle de tous les instants et des impératifs économiques pressants – dans le cas des économies de plateforme, par exemple, où chaque retard coûte cher. « Les piétons qui parlent dans leur portable tendent à marcher moins droit, à changer de direction plus souvent, à prendre plus de risques en traversant la rue et sont moins attentifs à leurs semblables », remarquait Matthew Crawford dans Contact (2014). La différence entre le piéton et l’automobiliste, cependant, c’est que ce dernier est au volant de plusieurs tonnes de métal lancées entre 10 et 50 km/h en ville. De fait, « la cécité [de l’automobiliste] devient une question morale ». Or la virtualisation du rapport à la route, loin d’être combattue par les constructeurs automobiles ou les autorités de régulation, est souvent avancée comme un argument de vente en faveur d’une « expérience utilisateur » plus amusante et plus sécurisée. Certaines marques, comme Tesla, jouent à plein sur ce terrain. Le design de l’habitacle, avec ses gadgets et son écran central façon Batmobile, donnent un sentiment de toute-puissance, tout en coupant du regard d’autrui. Juste en dessous du pare-brise, une reproduction en 3D redouble ce qui se passe dehors. Des silhouettes à peine esquissées y passent comme d’éternels PNJ (ces « personnages non jouables » de jeux vidéos, qui ne sont pas contrôlés par les joueurs… et donc ne servent qu’à créer un décor). Le coût des cons Le conducteur n’est donc pas tant materné par le code de la route qu’il n’est anesthésié de toutes parts par des dispositifs transformant la conduite en expérience lisse, gamifiée, abstraite, soumise au diktat de l’urgence, où l’autre n’apparaît plus que comme un obstacle à contourner. La naked road imaginée dans les années 1970 est un espace politiquement aménagé pour accueillir la vulnérabilité, pas une jungle darwinienne. À cet égard, le fantasme d’un retour à une conduite « virile », libérée des contraintes collectives, dit surtout notre incapacité à penser la route comme un commun.  “Le fantasme d’un retour à une conduite ‘virile’, libérée des contraintes collectives, dit surtout notre incapacité à penser la route comme un commun”   Comme le rappelle l’historienne Lucille Peytavin dans Le Coût de la virilité (2024), les hommes représentent 84% des auteurs présumés d’accidents mortels sur la route et 75 % des personnes gravement blessées ou tuées… alors qu’ils ne parcourent que 52,4% du kilométrage total. Avec de telles statistiques, ironise-t-elle, on pourrait remplacer le « A » des jeunes conducteurs par un « H » pour signaler un homme au volant. Et si vous trouvez que c’est exagéré, songez un peu : l’insécurité routière, majoritairement portée par les hommes, nous coûte pas moins de 31,2 milliards d’euros par an. Oui, c’est la somme que l’État français économiserait si les automobilistes conduisaient comme des femmes. Une idée pour les mascus libertariens bien inspirés ? Laissez-nous quelques panneaux, mais rendez l’argent !   Petite Philosophie des mobilités. La route, école de la patience, d’Apolline Guillot, est sorti cette année chez Philosophie magazine Éditeur. 80 p., 10€, disponible ici. décembre 2025
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December 15, 2025 at 5:15 PM
Lors de l’attentat antisémite qui a fait 16 morts hier à Bondi Beach près de Sydney, en Australie, un passant s’est illustré par son courage en désarmant l’un des deux tireurs. Mais d’où vient le courage, et peut-on se préparer à être courageux ? À lire ici ➤ www.philomag.com/articles/que...
December 15, 2025 at 5:00 PM
Pas de philo, pas de choco ! Les philosophes et le chocolat www.philomag.com/articles/pas...
Pas de philo, pas de choco ! Les philosophes et le chocolat
Pas de philo, pas de choco ! Les philosophes et le chocolat hschlegel dim 14/12/2025 - 07:00 En savoir plus sur Pas de philo, pas de choco ! Les philosophes et le chocolat À l’approche des fêtes de fin d’année, peut-être ressentez-vous une envie grandissante de chocolat. Mais quel rapport les philosophes entretiennent-ils avec le chocolat ? Le consomment-ils également ou s’en détournent-ils comme d’un plaisir coupable ? Réponses goûtues.  [CTA2]   Le chocolat n’est bien sûr pas un concept philosophique, ni même un sujet sur lequel les philosophes se sont épanchés, et la Philosophie du chocolat reste à écrire. On trouve cependant ici et là quelques formules où il en est question… quitte à ce que les références soient apocryphes, comme dans cet aphorisme attribué (à tort, puisqu’il n’a jamais rien écrit de tel) à La Rochefoucauld et qui lui fait dire : « Aimez le chocolat à fond, sans complexe ni fausse honte, car rappelez-vous : sans un grain de folie, il n’est point d’homme raisonnable. » De Voltaire à Nietzsche : un stimulant pour l’esprit Aussitôt qu’il a été introduit en Europe au XVIIᵉ siècle, le chocolat n’a pas seulement éveillé la curiosité des médecins et des nutritionnistes comme Brillat-Savarin, il a aussi suscité l’intérêt de plusieurs savants et philosophes. Parce qu’il passait pour un stimulant intellectuel, au même titre que le thé ou café ? Exactement, surtout à une époque où il était d’ailleurs consommé sous forme de boisson chaude et non sous forme de tablette. C’est parce qu’il est censé vivifier l’esprit que plusieurs auteurs, comme Voltaire – un grand buveur de chocolat, qu’il mélangeait à son café –, le consommaient. C’est aussi le cas de Nietzsche, qui voyait dans le chocolat un aliment particulièrement sain et vertueux, du moins dans sa version dégraissée. À Turin, on dit qu’il appréciait le gianduja du café Fiorio, une pâte à base de chocolat et de noisette (dont la légende veut qu’elle ait été fabriquée dans un atelier de la Piazza San Carlo, autrement dit au même endroit où le philosophe connaîtra sa crise de folie, le 3 janvier 1889). Dans Ecce Homo (posth., 1908), il évoque le chocolat dans le cadre de considérations plus générales sur son austère hygiène de vie et le lie à ce qu’il appelle sa « morale » : “Encore quelques préceptes tirés de ma morale. Un repas copieux est plus facile à digérer qu’un repas léger. Il faut que tout l’estomac travaille pour que la digestion se fasse bien, on doit connaître la dimension de son estomac. Pour la même raison, il faut déconseiller ces interminables ripailles, ces suicides écourtés que l’on célèbre à table d’hôte. Rien entre les repas, pas de café : il altère. Le thé n’est bon que le matin. Buvez-en peu, mais prenez-le fort : pour peu qu’il soit trop faible, il vous fait du mal et vous indispose pour la journée. Le degré de concentration à choisir dépend du tempérament de chacun, il est souvent très délicat à déterminer. Dans un climat énervant, le thé est mauvais à jeun : il faut le faire précéder une heure avant d’une tasse de cacao épais et déshuilé. – Rester assis le moins possible ; ne se fier à aucune idée qui ne soit venue en plein air pendant la marche et ne fasse partie de la fête des muscles. Tous les préjugés viennent de l’intestin. Le cul de plomb, je le répète, c’est le vrai pêché contre l’Esprit” Friedrich Nietzsche, Ecce Homo (posth., 1908), « Pourquoi j’en sais si long », section I, trad. fr. A. Vialatte On peut s’étonner de voir ce régime alimentaire assez strict, voire sévère, vanté par un philosophe qui est par ailleurs un chantre de la vitalité et de la grande santé (qui chez lui ne se réduit pas à la santé du corps). À moins que ce ne soit précisément sa constitution fragile qui le rende si soucieux de diététique. Mais le chocolat relève-t-il pour autant de la morale, comme le veut le penseur allemand ? Il est vrai qu’avant de passer pour un aliment sain, le chocolat a dû surmonter une autre réputation qu’il a longtemps traînée – à savoir celle d’être un aphrodisiaque puissant, aussi attirant que dangereux et qui soulevait à ce titre un questionnement proprement moral sur la nature du plaisir qu’il procure.  Madame de Sévigné et la sensualité du chocolat, entre Éros et Thanatos Il suffit pour s’en convaincre de lire la correspondance qu’entretient Madame de Sévigné (1626-1696) avec sa fille Madame de Grignan, au sujet de cette boisson alors en vogue à la cour de Versailles en tant que symbole de raffinement et de luxe réservé à la noblesse. Tantôt Madame de Sévigné s’en délecte, tantôt elle s’en méfie, comme si elle entretenait avec cette substance une relation amoureuse tumultueuse. Le 15 avril 1671, elle écrit : « Le chocolat n’est plus avec moi comme il était ; la mode m’a entraînée comme elle fait toujours. Tous ceux qui m’en disaient du bien m’en disent du mal. On le maudit ; on l’accuse de tous les maux qu’on a. Il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue, qui vous conduit à la mort. » Elle le soupçonne d’être à l’origine de la couleur de l’enfant qu’a eu l’une de ses amies (!) et met en garde sa fille enceinte : “J’ai aimé le chocolat, comme vous savez ; il me semble qu’il m’a brûlée, et depuis, j’en ai bien entendu dire du mal ; mais vous dépeignez et vous dites si bien les merveilles qu’il fait en vous, que je ne sais plus qu’en penser. La marquise de Coëtlogon prit tant de chocolat, étant grosse l’année passée, qu’elle accoucha d’un petit garçon noir comme le diable, qui mourut”  Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, lettre du 25 octobre 1671 Outre les connotations racistes de la formule, on peut s’étonner de voir le chocolat considéré comme un aliment si sensuel qu’il jouisse de vertus proprement sexuelles, étrangement magiques (ou plutôt démoniaques). Du moins le plaisir qu’il apporte favorise-t-il la sociabilité, à en croire cette autre injonction où, quelques mois plus tard à peine, Madame de Sévigné recommande cette fois à sa fille de « prendre du chocolat, afin que les plus méchantes compagnies vous paraissent bonnes » (lettre du 15 janvier 1672) : au lieu d’être un excitant, le chocolat passe alors pour un désinhibiteur qui met de belle humeur. Le chocolat comme réconfort existentiel : Simone Weil et Emil Cioran Le chocolat apporte de la convivialité – parce qu’il est une sorte de substitut à l’amour et un vecteur d’humanité ? Il est vrai qu’il rassemble les gourmands autour de la faiblesse qu’ils ont pour lui (encore plus quand il se présente sous forme de carrés prêts à être découpés, comme une invitation au partage). Mieux, le chocolat s’offre volontiers en cadeau, comme l’a bien compris Simone Weil qui, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, envoyait son sucre et son chocolat aux soldats du front pendant la Première Guerre mondiale dans l’espoir d’adoucir un peu la dureté de leurs conditions de vie. Celle qui toute sa vie a refusé le confort que pouvait lui offrir son milieu plutôt bourgeois (décidant plus tard d’aller travailler comme ouvrière à l’usine) montrait ainsi toute la grandeur de son âme généreuse par cette attention aux souffrances des autres. Les matérialistes diront que c’est parce qu’il stimule la production de sérotonine ; toujours est-il que le chocolat est d’un grand réconfort pour les âmes en peine. Il paraît même qu’Emil Cioran, l’auteur de De l’inconvénient d’être né taraudé par la vanité de l’existence, en était gourmand. On raconte que lorsqu’il lui rendait visite dans sa mansarde ascétique de la rue de l’Odéon à Paris, son ami, éditeur et biographe Gabriel Liiceanu avait pris l’habitude d’apporter à son compatriote – qui vivait pourtant de manière très frugale – le fameux gâteau hongrois dobostorta, composé de multiples couches de génoise et de crème au chocolat. Dans Itinéraires d’une vie. E.M. Cioran, il raconte son étonnement de voir avec quelle gourmandise enfantine et quelle joie de vivre celui qui dissertait par ailleurs sur le néant et le suicide se jetait sur cette pâtisserie et s’en délectait… Le chocolat n’est-il pas le meilleur des antidépresseurs s’il a été capable de réconcilier, même provisoirement, Cioran avec la condition humaine ? Il ne faut y voir aucune contradiction : nous vivons sur plusieurs niveaux de conscience, et assurément, le chocolat nous aide à passer de l’un à l’autre, pour notre plus grand plaisir. décembre 2025
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December 14, 2025 at 7:15 AM