Crise post-électorale au Cameroun: "Les dirigeants actuels ont confisqué le pouvoir et s'en servent pour terroriser le peuple"
Par Christian Eboulé
Alors que l’ultimatum lancé par Issa Tchiroma Bakary concernant la libération sous 48h de tous les manifestants incarcérés, a expiré depuis ce mardi 11 novembre, et qu’il ne s’est pas encore exprimé sur la suite des événements, les rumeurs d’arrestations arbitraires et de tortures entretiennent la peur et la psychose au sein des populations camerounaises. L'élu local de l'opposition Joseph Espoir Biyong en appelle à la communauté internationale.
Alors que l’ultimatum lancé par Issa Tchiroma Bakary concernant la libération sous 48h de tous les manifestants incarcérés, a expiré depuis ce mardi 11 novembre, et qu’il ne s’est pas encore exprimé sur la suite des événements, les rumeurs d’arrestations arbitraires et de tortures entretiennent la peur et la psychose au sein des populations camerounaises. L'élu local de l'opposition Joseph Espoir Biyong en appelle à la communauté internationale. L'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) a dénoncé ce mercredi 12 novembre dans un communiqué " les arrestations massives et la répression meurtrière des manifestations " qui ont suivi la réélection contestée de Paul Biya au Cameroun. La semaine dernière, " plusieurs dizaines " de personnes ont perdu la vie a reconnu le ministre de la communication René Emmanuel Sadi, sans toutefois préciser le bilan exact. Les autorités ont déclaré le jeudi 6 novembre avoir arrêté " plusieurs centaines" de personnes. Ils seraient "j usqu'à 2.000 personnes dont des mineurs ", selon un groupe de 149 avocats mobilisés pour assister bénévolement les détenus, relève l'ONG dans son communiqué. Depuis fin octobre et la réélection pour un huitième mandat de Paul Biya, 92 ans et au pouvoir depuis 1982 au Cameroun, certaines grandes villes du pays ont été secouées par des manifestations à l'appel du candidat Issa Tchiroma Bakary . " Certaines manifestations ont été violentes, les foules ayant attaqué des policiers et des gendarmes en leur lançant des pierres et d'autres objets. Dans certaines zones, les manifestants ont érigé des barricades, incendié et saccagé des bâtiments publics, des magasins et d’autres biens privés. Les forces de sécurité ont répliqué par l'usage de la force létale ", détaille HRW dans son communiqué. Et pour Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur l’Afrique pour HRW, " la répression violente contre les manifestants et les citoyens ordinaires à travers le Cameroun met à nu une répression de plus en plus profonde qui jette un nuage noir sur l’élection ".
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Joseph Espoir Biyong, 28 ans, fondateur du bureau d’études "Global Surveying System" et sixième maire adjoint de l'arrondissement de Douala 5e, quartier populaire de la capitale économique camerounaise, et ancien membre du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), analyse la crise post-électorale actuelle et trace des perspectives d’avenir. Entretien avec un élu local de l'opposition. TV5MONDE: Quel regard portez-vous sur la situation post-électorale actuelle? Joseph Espoir Biyong: "Il est clair que la situation au Cameroun est très tendue, les sentiments sont à vifs. Et c’est compréhensible, car les gens sont déçus et en colère face à la crise politique actuelle. Le peuple a parlé, mais ses voix ont été volées. C'est une honte! Les dirigeants actuels ont confisqué le pouvoir et s'en servent pour écraser et terroriser le peuple.
C’est la raison pour laquelle il y a une perte de respect pour un dirigeant, le président Paul Biya, qui semble donner la priorité à la conservation du pouvoir, plutôt qu’à la vie de ses concitoyens. Cette sensation est largement partagée aujourd’hui. Or, il est important de reconnaître la souffrance et les préoccupations du peuple camerounais. Il est par exemple choquant de voir comment les autorités camerounaises minimisent la valeur de la vie humaine. Pendant les manifestations de ces dernières semaines, les forces de défense et de sécurité ont tiré à balles réelles sur les populations. Aujourd'hui, c'est la diaspora camerounaise qui offre 200.000 francs CFA (environ 305 euros, NDLR) à chaque famille endeuillée (une cagnotte lancée par des lanceurs d'alerte camerounais , NDLR). Une somme dérisoire par rapport à la perte d'un être cher. Et quid de l'obligation morale et légale de l'État, qui, en principe, doit prendre soin de ses citoyens. C'est une situation révoltante! (Re)voir Cameroun: le gouvernement change de ton et tente l'apaisement
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Dans une démocratie, on est censé protéger les citoyens, pas les tuer et se moquer d'eux. Et cette tentative de minimiser les morts, de réduire les familles à l'état de mendiants, c'est odieux. Le peuple camerounais a raison de se sentir trahi et en colère. Il est temps que les choses changent. Mais il faut que les gens soient prêts à prendre des risques, pour défendre leurs droits. L'histoire a montré que les révolutions peuvent naître de l'outrage, et de la détermination d'un peuple qui refuse de se taire. D'ailleurs, l'inaction de la communauté internationale surprend et rend les frustrations palpables. Comme moi, beaucoup se demandent pourquoi les organisations internationales ne prennent pas des mesures plus fermes pour défendre la justice, l'équité et la vérité. Les pertes en vies humaines sont un drame qui devrait susciter une large mobilisation". TV5MONDE: À quel dénouement peut-on s’attendre dans les semaines à venir? Joseph Espoir Biyong: "La seule issue possible est que les dirigeants actuels quittent le pouvoir, car ils ont perdu la confiance du peuple. Alternativement, ils pourraient accepter un arbitrage international transparent, sous l'égide de l'ONU ou de l'Union africaine, pour que les résultats électoraux soient vérifiés et validés par la communauté internationale. (Re)voir Cameroun: quel bilan pour l'opération "villes mortes" après la réélection de Biya?
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Nous sommes prêts à accepter les résultats si les autorités publient les 31.653 procès-verbaux qui, selon eux, donnent Paul Biya gagnant. Nous demandons la transparence totale et que le monde entier puisse constater la véracité des chiffres. C'est la seule façon de rétablir la paix et la sérénité au Cameroun. S'ils sont convaincus de leur victoire, pourquoi refusent-ils de publier les procès-verbaux? C'est simple: ils ont peur de la vérité. S'ils publient les résultats, la paix et la sérénité reviendraient au Cameroun, et personne ne serait blessé ou emprisonné. Mais au lieu de cela, ils préfèrent continuer à tuer, à humilier et à opprimer le peuple. C'est une honte pour l'humanité. (Re)voir Cameroun: Issa Tchiroma Bakary appelle à une opération "villes mortes" avant l’investiture de Paul Biya
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Le Cameroun est un pays souverain, mais cela ne signifie pas que les dirigeants peuvent faire ce qu'ils veulent de leur peuple. L'élection présidentielle est justement l'occasion pour le peuple de choisir son dirigeant. Et c'est le peuple qui est souverain, pas le Conseil constitutionnel. Si le peuple camerounais choisit Issa Tchiroma Bakary, qui sont-ils pour s'opposer à sa volonté? La communauté internationale doit se poser la question: qu'est-ce que cela signifie pour la démocratie et la souveraineté des peuples? On ne peut pas laisser les dirigeants s'imposer par la force et la corruption. Il est temps de prendre position et de soutenir la démocratie au Cameroun". TV5MONDE: Qui peut jouer un rôle dans le règlement de la crise actuelle? Joseph Espoir Biyong: "Le peuple camerounais a un rôle crucial à jouer: exiger la vérité et la justice. Le 26 octobre dernier, le président Issa Tchiroma Bakary a appelé à une manifestation pacifique, pour demander la publication des résultats électoraux. Le peuple doit continuer à exiger la vérité et à dénoncer ces actes odieux. Le Cameroun est à un tournant, et il est temps pour les dirigeants de comprendre que le peuple ne sera plus réduit au silence. (Re)lire Paul Biya réélu au Cameroun: préoccupation, félicitations, demandes de libérations... les premières réactions internationales La Cour pénale internationale (CPI) est censée être le dernier recours pour les victimes de crimes contre l'humanité, mais elle semble être muette face à la situation au Cameroun. L'ONU et la communauté internationale semblent également impuissantes, voire indifférentes, face à la crise qui secoue le pays. Il est légitime de se demander pourquoi le Cameroun est ainsi laissé pour compte, alors que d'autres pays africains ont bénéficié d'une attention particulière. Est-ce que Paul Biya a vraiment réussi à « corrompre tout le monde », ou existent-ils d’autres raisons que nous ignorons? La question reste posée. Mais l'histoire a aussi montré que les peuples ne se laissent pas faire éternellement".