Lutte contre la fraude fiscale internationale : des chiffres encourageants
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Dans un contexte d’internationalisation et de dématérialisation des échanges, le contrôle des opérations internationales s’appuie sur une meilleure identification des comportements et opérations frauduleux et les résultats sont au rendez-vous.
En 2024, les résultats de la lutte contre la fraude fiscale internationale sont en hausse d’après les derniers chiffres de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), communiqués le 23 octobre 2025. Face à l’internationalisation des schémas d’évasion et de fraude fiscales, les services de contrôle de la DGFiP ont renforcé leur action internationale en 2024. Les opérations de contrôle fiscal portant sur des montages internationaux a ainsi progressé de 9 %.
Vigilance accrue en matière de TVA
Ces contrôles portent principalement sur les entreprises en matière de contrôle de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En montant notifié, le résultat du contrôle des impôts des professionnels a progressé de 23 % pour atteindre 5,2 milliards d’euros en base. Les services de contrôle sont particulièrement présents sur le terrain de la fraude à la TVA à l’international, en particulier dans le secteur du commerce en ligne : les résultats des contrôles diligentés en 2024 sont en hausse avec un montant de droits de TVA rappelés de 303 millions d’euros, contre 283 millions en 2023. La taxe sur la TVA constitue une importante source de recettes pour les gouvernements nationaux mais aussi pour le budget de l’Union Européenne. En 2023, elle a rapporté 22,5 milliards d’euros à l’UE, soit moins de 2 % du montant total de la TVA perçue au niveau national. Cette ressource propre représente 9,1 % des recettes totales de l’Union Européenne. La fraude à la TVA a une incidence négative sur la perception des recettes, pour les États membres comme pour l’Union Européenne. Selon la Commission, les États membres ont perdu à ce titre environ 89 milliards d’euros en 2022. Une étude de la Commission européenne, publiée en décembre 2023, sur l’écart entre la TVA attendue et la TVA perçue, évalue ce TVA Gap, à 9,6 milliards d’euros pour la France pour l’année 2021, ce qui représente un pourcentage de 4,9 % des recettes de TVA, un chiffre en diminution significative par rapport à l’étude précédente sur l’année 2020, évalué alors à 14 milliards d’euros soit 8 % du produit de TVA. Ce TVA Gap reste, de surcroît, inférieur à la moyenne européenne (5,3 %). Les résultats de l’année 2020 marquaient déjà un progrès par rapport à l’année 2019 (écart évalué à 16,4 milliards d’euros soit 8,6 % du produit de TVA).
De nouveaux outils pour la lutte contre la fraude
En complément, la DGFiP a mis en œuvre avec réactivité, tous les nouveaux outils mis à sa disposition dans le cadre des lois récentes renforçant la lutte contre la fraude pour prévenir la fraude ou garantir le recouvrement de la TVA : suspension des numéros de TVA intracommunautaire des vendeurs peu scrupuleux, la mise en œuvre de la procédure de solidarité des plateformes de vente en ligne permettant le déréférencement des vendeurs qui ne reversent pas la TVA due sur leurs ventes, et les mesures conservatoires en amont de l’engagement des contrôles à l’encontre des opérateurs éphémères insolvables et judiciarisation des fraudes. En application de l’article 23 du règlement communautaire n° 904/2010 du 7 octobre 2010. Les sociétés identifiées présentant des niveaux de risque majeur font ainsi l’objet de demandes de suspension de leur numéro de TVA. Il s’agit le plus souvent de sociétés défaillantes ou des opérateurs « éphémères », susceptibles de réaliser des opérations frauduleuses. Ces suspensions de numéros de TVA ont ainsi fortement augmenté ces dernières années. Rappelons enfin que la DGFiP est cheffe de file du groupe opérationnel national antifraude (GONAF) « Lutte contre la fraude à la TVA », successeur de la « task force TVA » au niveau national, et qu’elle a éclairci les règles d’assujettissement à la TVA des activités de dropshipping.
L’accent est mis sur les prix de transfert
Plus de la moitié de ces redressements (64 %) concernent les prix de transfert dans les groupes multinationaux. Le contrôle des prix de transfert cible les stratégies fiscales visant à soustraire de la base imposable vers des États ou des territoires moins imposés. C’est un dispositif très utilisé par l’administration fiscale française et dont l’efficacité en termes de contrôle fiscal s’accroît. En 2023, le montant moyen des rehaussements par dossier avoisinait 6,7 millions d’euros, un montant très significatif. 7 de ces dossiers représentent chacun plus de 100 millions d’euros de rectifications en base et 20 dossiers dépassaient le montant de 20 millions d’euros. En 2024, ce dispositif a été utilisé à 375 reprises (contre 347 en 2023) pour un total de 3,375 Mds€ en base contre 2,34 Mds€ en 2023, soit une augmentation de 44 % des montants rehaussés. Conformément au plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques de 2023, la loi de finances pour 2024 a resserré les règles en matière de documentation des prix de transfert des entreprises (seuils d’application, opposabilité, sanctions et extension du délai de reprise s’agissant des cessions d’actifs incorporels difficiles à évaluer), facilitant d’autant les opérations de contrôle. « Cet axe du contrôle fiscal cible les stratégies de planification fiscale agressives particulièrement dommageables pour les finances publiques qui consistent à diminuer délibérément la base imposable en France par l’utilisation de dispositifs complexes permettant des transferts indirects de bénéfices vers des entités étrangères du même groupe », souligne la DGFiP. Selon la définition de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ».
Le mécanisme des prix de transfert
Ces prix pratiqués entre entités d’un même groupe et résidentes d’États différents supposent des transactions intragroupes et le passage d’une frontière. Les sociétés qui réalisent des opérations transfrontalières (transfert de biens ou de services, cession ou concession d’incorporels, etc.) avec des entreprises qui leur sont liées, peuvent en effet être tentées de minorer leurs bénéfices en France en minorant ou en majorant leurs prix. Ainsi, ces sociétés réduisent leur base imposable en France tout en l’augmentant dans l’État de résidence de leur partenaire. Si l’État en question est doté d’une faible fiscalité ou s’identifie à un paradis fiscal, l’opération s’avère optimisante pour le groupe et dommageable pour les finances publiques françaises. Lors d’une vérification de comptabilité, les prix de transfert font donc l’objet d’une vigilance particulière, qu’il s’agisse de contrôler – conformément au principe de pleine concurrence – les prix des transactions relatives aux transferts de biens et aux prestations de services (partage de frais communs entre plusieurs entreprises du groupe comme des frais d’administration générale ou de siège, mise à disposition de personnes ou de biens, relations financières, services rendus par une entreprise du groupe aux autres entreprises, etc.) ou les rémunérations des incorporels comme les marques et les brevets, par exemple.
Augmentation des contrôles fiscaux pour les particuliers
L’intensification des contrôles fiscaux concerne également les particuliers en matière d’impôt sur le revenu, soit plus de 600 millions d’euros de droits rappelés en 2024. L’accent a été mis sur les délocalisations fictives visant à éluder l’impôt en France ainsi que la dissimulation des revenus dans des États présentant un régime fiscal privilégié. Ces opérations ont également porté sur le contrôle des impôts sur le patrimoine, avec des résultats en la matière en hausse de 45 % en 2024 avec 197 millions d’euros de droits rappelés contre 135 millions d’euros en 2023. En matière de fiscalité patrimoniale, les pôles de contrôles revenus/patrimoine (PCRP) au niveau départemental permettent de mieux répondre à l’exigence de compétences, de même que les brigades patrimoniales (BPAT) au niveau interrégional.
Les progrès de la coopération renforcée
Ces résultats en nette progression sont notamment le fruit d’une coopération renforcée avec les autres États qui échangent de plus en plus d’informations avec la France, de manière automatique ou à sa demande. L’évolution des normes internationales et européennes permet d’étendre l’échange automatique à de nouvelles catégories d’actifs et de revenus pour mieux détecter et lutter contre la fraude et l’évasion fiscales internationales. Ainsi depuis 2025, la DGFiP a accès aux paiements transfrontaliers, nouvelle source de programmation et d’enrichissement des contrôles dans le cadre de la lutte contre la fraude à la TVA internationale, notamment dans le secteur de l’e-commerce. Bercy table sur une meilleure identification des comportements et opérations frauduleux. Pour l’administration fiscale, la lutte contre la fraude liée aux paradis fiscaux, États et territoires non coopératifs ou le démantèlement de schémas d’optimisation fiscale agressifs constituent des objectifs prioritaires. En conséquence, la DGFiP adapte ses moyens et son organisation pour optimiser ses actions sur les questions internationales. Les transactions avec les États ou territoires à fiscalité privilégiée continuent de faire l’objet d’une surveillance renforcée de la DGFiP.
Les crypto-actifs dans la ligne de mire
La directive européenne sur la coopération administrative dans le domaine fiscal -DAC8 (Directive modificative (UE) 2023/2226 du Conseil du 17 octobre 2023 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, JOUE L du 24 octobre 2023) permettra à compter de 2027, l’échange automatique des données relatives aux crypto-actifs portant sur de nombreuses opérations (échanges entre différentes cryptomonnaies, échanges avec des devises et transferts de crypto-actifs). Les cryptoactifs représentent des actifs virtuels stockés sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs les acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale. Selon la définition qu’en donne la Banque de France, les cryptoactifs sont « des actifs numériques (ou digitaux), créés grâce à l’utilisation de technologies de cryptographie. Ils sont nommés ainsi car ils s’apparentent à des actifs financiers et sont créés et utilisés via des technologies de cryptage ». D’après les chiffres de la Cour des comptes, « la valorisation du marché des cryptoactifs représentait 1 100 Md$ fin 2023 et environ 14 millions d’utilisateurs au sein de la zone euro. Bien que les cryptoactifs aient un rôle actuellement marginal dans le financement de l’économie, leur développement constitue toutefois un défi pour les États en termes de contrôle des flux et de stabilité financière ». Selon l’étude EY KMPG-Ipsos pour l’Association pour le développement des actifs numériques ( Web 3 et crypto en France et en Europe, 4e édition, mars 2024 ), environ 12 % des épargnants français en détiennent en 2024.
Obligations déclaratives et droit à l’erreur
Les gains générés par ces actifs sont soumis à l’impôt sur le revenu. Les contribuables doivent déclarer leurs plus ou moins-values issues de ces transactions imposables sur le formulaire Cerfa n° 2086 en annexe à la déclaration de revenu 2042. Les contribuables qui détiennent ce type d’actifs à l’étranger doivent en outre joindre un formulaire Cerfa n° 3916 et n° 3916 bis à leur déclaration de revenus pour déclarer leurs comptes d’actifs numériques, ouverts auprès de dépositaires ou plateformes ( article 1649 bis C du Code général des impôts ). À défaut ils s’exposent à des sanctions : une amende de 750 à 1 500 euros par compte non déclaré et 125 à 250 euros par omission ou inexactitude, dans la limite de 10 000 euros par déclaration et des pénalités pour insuffisance de déclaration ou pour dissimulation d’actifs, pouvant aller jusqu’à 80 % de l’impôt dû. Les titulaires de ce type d’actifs qui ne les ont pas encore déclarés par méconnaissance de leurs obligations sont « invités à le faire dans les meilleurs délais dans le cadre du droit à l’erreur qui leur est reconnu en matière fiscale », précise Bercy.